samedi 3 octobre 2020

 

Lorsque Billie Holliday, Blind Lemon Jefferson, ou Leadbelly chantaient la mort, on entendait s’armer le chien du fusil, on voyait sur fond de soleil rouge, suspendue à un arbre, la silhouette noire en train de mourir, on sentait l’odeur de pin surchauffé du cercueil en train d’être descendu dans cette même terre du Mississipi contre laquelle un métayer s’est échiné toute sa vie.

Avant de passer sur la chaise électrique, Johnny Massina rapporte au lieutenant Dave Robicheaux les rumeurs qui courent sur lui dans le milieu : sa tête serait mise à prix par des Colombiens. 

Il semble que Dave ait eu le tort de fourrer son nez là où il ne fallait pas, et d'insister. Deux semaines plus tôt, alors qu'il était en train de pêcher sur le bayou, Dave a en effet trouvé le cadavre à moitié immergé d'une jeune Noire. La police locale a conclu à une noyade accidentelle, mais Robicheaux est persuadé que la jeune fille a été droguée à mort avant d'être jetée à l'eau. Son acharnement à découvrir la vérité provoque une réaction en chaîne de morts violentes et d'atrocités. 

Ce qui ressemblait, au départ, à une banale affaire de drogue et de prostitution va déboucher sur un important trafic d'armes vers le Nicaragua et mettre en cause des nostalgiques de la grandeur américaine qui ont mal accepté la catastrophe du Viêt-Nam. 

Dave lui-même ne sortira pas indemne des événements qui ramènent à sa mémoire de combattant des souvenirs cauchemardesques de la guerre et le poussent à chercher l'oubli dans des bars miteux, où son reflet dans les miroirs se brouille, comme la pluie mouillée de néon qui frappe les vitres.

Ce qu’il y a de bien avec James Lee Burke, c’est que l’on pourrait se contenter de compiler ces phrases et laisser la magie opérer. Je devrais peut-être...

La revue Sang-Froid élit James Lee Burke comme le premier des auteurs de polar nord-américain. Je me méfie autant de ces classements que Donald Trump du New-York Times... Et puis, je me demande si nord-américain n’est pas de trop dans cette affirmation.

C’est peu dire que j’aime James Lee Burke. Ces livres sont autant de sommets métaphysiques, de captation de l’Âme du Sud, cette Louisiane poisseuse, sordide et envoutante, à la manière d’un Faulkner armé d’un flingue.

Pour ce faire, James Lee Burke a créé, charpenté, une vie de papier d’une densité incroyable, celle de Dave Robicheaux. Sublimée par une plume ample, élégiaque, soudainement troublée par des accès de violence sèche, la lecture du premier Robicheaux porte en lui les premisses d’un long et tourmenté voyage.

Ce livre repose sur une intrigue complexe, malodorante, mélange de barbouzerie US dans l’arrière-cour d’Amérique latine et mafia locale. Mais ce bouquin va bien au-delà du hard boiled où des taiseux couillus affutent leurs répliques, La pluie de néon sonde, comme toujours chez Burke, le bien et le mal qui voisinent en chacun de nous, et le mal que l’on doit faire pour que le bien advienne. Mais le doit-on vraiment ou n’est-ce-pas l’excuse que l’on se donne pour exprimer pleinement notre part d’ombre ?

James Lee Burke possède sa propre nuance de Noir, à la manière d’un Soulage troquant son pinceau pour une Underwood. Ce noir a son nuancier bien à lui, ni totalement pâle ni complètement enténébré, impossible à définir, si ce n’est en lisant les livres de Burke, et notamment celui-là.

Vertigineux.

Traduction impeccable de Freddy Michalski.

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