mercredi 7 octobre 2020


« Vous pensez que l’élection était truquée ?
– Je crois que le jeu dans sa totalité est truqué.
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire que, pour arriver ne serait-ce qu’au seuil du Bureau ovale, un homme doit déjà avoir vendu son âme une douzaine de fois au plus offrant. La présidence est une pièce de théâtre ; le président est un personnage qui a été choisi. Il y a de nombreux metteurs en scène, de nombreux producteurs, et il est rare qu’ils soient d’accord sur l’intrigue. Le monde est le public, et au lieu de s’en tenir au scénario, chacun improvise en fonction de la réaction des spectateurs. Ce qui, si j’en crois mon expérience, donne un divertissement très déroutant et peu satisfaisant. »

C’est l’une des histoires les plus connues au monde – et l’une des plus obscures. Le 22 novembre 1963, le cortège présidentiel de John F. Kennedy traverse Dealey Plaza. Lui et son épouse Jackie saluent la foule, quand soudain…

Quand soudain, rien : le président ne mourra pas ce jour-là. En revanche, peu après, le photojournaliste Mitch Newman apprend le suicide de son ex-fiancée, dans des circonstances inexpliquées. Le souvenir de cet amour chevillé au corps, Mitch tente de comprendre ce qui s’est passé. 

Découvrant que Jean enquêtait sur la famille Kennedy, il s'aventure peu à peu dans un monde aussi dangereux que complexe : le cœur sombre de la politique américaine.

John F Kennedy est l’angle mort de l’histoire politique étasunienne. Son mandat s’est trouvé figé dans l’ambre de la tragédie et du fatum. Un assassinat a englouti les failles béantes de Kennedy. Son élection gagnée d’un cheveu, probablement achetée par son père. Le queutard compulsif à faire passer DSK pour un Dominicain sous bromure. Le cocktail médicamenteux complexe pour juguler la douleur, la maladie d’Addison, les sautes d’humeur etc. Tout cela, balayé par la conflagration planétaire et le tir précis d’un minable, selon la version officielle. Kennedy glamourisé pour l’éternité, un nouvel Arthur en son nouveau Camelot, au bras de sa Guenièvre.

RJ Ellory a la bonne idée d’imaginer que le cortège présidentiel traverse sans encombre Dallas. Kennedy est sauf. Sur ce canevas uchronique, Ellory trousse un livre haletant, terriblement efficace.
 Entre 22/11/63 et House of cards assène la quatrième de couverture. À vrai dire, j’ai surtout songé au titanesque American Tabloïd du presque homonyme de RJ, James Ellroy. L’opus de Ellory n’atteint pas la puissance du Mad Dog, un R déplacé d’un cran sur la gauche fait parfois une sacrée différence. Néanmoins, son livre se lit sans faillir.

Kennedy s’y fait désosser, presque au ridicule. Rien n’est à sauver. Même la crise des missiles cubains, qui était pourtant portée, me semble-t-il, au crédit de Kennedy, est montrée comme un échec cuisant. Ellory épargne Bobby en revanche et le dépeint comme le véritable homme d’état d’une Administration au bord du gouffre. Robert Kennedy, l’acte tragiquement manqué de la politique américaine.

L’avantage d’un monde parallèle est que l’on peut y créer ex-nihilo une théorie du complot à soi, sans rien devoir à notre temporalité tangible. Ellory y développe sa propre thèse, suggestive et singulièrement amère. Plus que dans une redondance un brin crispante d’un amour mort-né, à travers les lectures pesantes et récurrentes des lettres du héros à son amour de jeunesse, suicidée opportuniste, c’est dans ce dénouement grinçant que ce bouquin est le plus probant.

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