jeudi 15 octobre 2020

 

Une pulvérisation invisible d'Ubik et vous bannirez la crainte obsédante, irrésistible, de voir le monde entier se transformer en lait tourné.

Qu'est-ce qu'Ubik ? Une marque de bière ? Une sauce salade ? Une variété de café ? Un médicament ? Peut-être... Et quel est donc ce monde où les portes et les douches parlent et n'obéissent aux ordres qu'en retour de monnaie sonnante et trébuchante ? Un monde où les morts vivent en animation suspendue et communiquent avec les vivants dans les "moratoriums".

C'est dans cet univers que Glen Runciter a créé un organisme de protection contre les intrusions mentales : télépathie, précognition, para-kinésie. Joe Chip, un de ses employés, est chargé de monter un groupe de "neutraliseurs" de pouvoirs "psy", afin de lutter contre ce qui semble être une menace de grande envergure. 

Emmanuel Carrère piégé dans son laborieux Yoga a commis un grand livre, peut-être son meilleur : Je suis vivant et vous êtes mort. Dans cette biographie subtile de Philip K. Dick, Carrère mentionnait l’éditeur français, Patrick Duvic, qui tenait Ubik comme l’un des cinq plus grands livres jamais écrits. Pas l’un des cinq plus grands livres SF, non, l’un des cinq, tous genres confondus.

Car Ubik, c’est plus que de la SF.

J’ai un peu de mal avec cette assertion. Ubik, c’est avant tout de la SF, comme 1984, Le meilleur des mondes, etc. Celles et ceux qui disent ne jamais lire de SF, ne classeraient pas ces livres en SF, ceux qu’ils sont pourtant.

On ne dit pas que Dumas c’est plus que du roman d’aventures, non ? Ou Flaubert, plus qu’une étude de mœurs. Quand un livre atteint l’universel, il touche tout le monde, mais ôter l’étiquette de littérature de l’imaginaire, quand un bouquin relevant de ce genre touche au firmament, me gêne. Je trouve ça condescendant.

Ubik est un cauchemar éveillé, une œuvre qu’on jurerait écrite sur du sable mouvant. Traversé d’un humour noir décalé, où une porte refuse de s’ouvrir faute de paiement et menace le héros d’un procès en réparation. Ubik est le livre des impossibles, des repères fluctuants sans que le plaisir de lecture en soit affecté ; jusqu’à la dernière phrase où K. Dick dans un rire sardonique balance tout par-dessus la rambarde.

Un grand livre. De SF. Conséquemment, un grand livre, tout simplement.

Traduction de Alain Dorémieux

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire