mercredi 7 octobre 2020


... il en va souvent ainsi, le monde déborde de rêves qui jamais n'adviennent, ils s'évaporent et vont se poser telles des gouttes de rosée sur la voûte céleste et la nuit les change en étoiles.

Dans un petit village des fjords de l’ouest, les étés sont courts. Les habitants se croisent au bureau de poste, à la coopérative agricole, lors des bals. Chacun essaie de bien vivre, certains essaient même de bien mourir. Même s’il n’y a ni église ni cimetière dans la commune, la vie avance, le temps réclame son dû.

Pourtant, ce quotidien si ordonné se dérègle parfois : le retour d’un ancien amant qu’on croyait parti pour toujours, l’attraction des astres ou des oiseaux, une petite robe en velours sombre, ou un chignon de cheveux roux. Pour certains, c’est une rencontre fortuite sur la lande, pour d’autres le sentiment que les ombres ont vaincu - il suffit de peu pour faire basculer un destin. Et parfois même, ce sont les fantômes qui s’en mêlent…

En huit chapitres, Jón Kalman Stefánsson se fait le chroniqueur de cette communauté dont les héros se nomment Davíð, Sólrún, Jónas, Ágústa, Elísabet ou Kristín, et plonge dans le secret de leurs âmes.

Certains livres ne s’imposent pas d’eux-mêmes. Ils acquièrent une cohérence dans ceux qui les précèdent. Ainsi ce Lumière d’été se niche dans un interstice, celui qui succède aux Dynamiteurs de Whitmer. Je voulais changer, démarquer, et cette chronique villageoise d’un hameau de fin du monde me semblait marquer un territoire bien distinct de la violence sourde et dense du Whitmer.

Fin du monde au sens géographique. Rien d’apocalyptique dans ce roman doux-amer (encore que...) mais une finitude. Après ce village islandais il y a la mer et puis rien. Cela concoure à une ambiance singulière. Les habitant.e.s pratiquent une folie légère, de celle qui nous accompagnent parfois mais qui prend ici une teinte différente. Un pays où la nuit s’installe longuement après un jour qui dure, ce pays a un rapport au rationnel qui fluctue quelque peu.

C’est ici que se loge la réussite de ce livre. Dans ce surnaturel qui frôle, caresse, du Stephen King en retenue.

Chaque partie s’attarde sur un homme ou une femme qui peuple les rues du bourg, un lieu loin et proche du Monde qui pulse, heurte, se débat, cette modernité qui semble abolir les frontières pour en ériger d’autres plus sournoises. Un personnage nous est présenté et ce qui pouvait sembler un recueil de nouvelles prend la forme d’un récit choral émouvant, sensible, bouleversant parfois. Pas de winners ici, ni de looser non plus, juste celles et ceux qui font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont.

La plume de Kalman Stefansson accompagne les virages et détours de cette balade islandaise. Sinueuse, empathique et plantée fermement dans les pensées des protagonistes, elle est d’une grande beauté, poétique et dense, elle nous enferre dans ce clair-obscur qui alterne et rythme la vie là-bas. Les louanges se doivent de pleuvoir sur la traduction remarquable d’Éric Boury.

Ce livre finalement est à l’image de l’Islande, qui se dévoile dans une beauté décalée, loin des lagons, des attentes convenues. La poésie se marie plus aisément aux tourments qu’aux alizées...

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