mercredi 7 octobre 2020


Les meilleures arnaques sont toujours les plus simples.
Mais la plus grande leçon que je tirais de Cole n'avait à voir avec aucun jeu en particulier. C'était que d'être adulte est en soi-même un genre d'arnaque. Tous ces Crânes de Nœud essayaient de se convaincre qu'ils étaient la personne qu'ils croyaient être. Le pigeon parfait mène déjà une arnaque, une arnaque qu'il déploie contre lui-même. Elle se joue à l'écart entre l'homme qu'il veut que le monde voit et l'homme qu'il se sait être. Et si vous pouvez repérer cette arnaque, alors vous le possédez.

1895. Le vice règne en maître à Denver, minée par la pauvreté et la violence. Sam et Cora, deux jeunes orphelins, s’occupent d’une bande d’enfants abandonnés et défendent farouchement leur “foyer” – une usine désaffectée – face aux clochards des alentours. 

Lors d’une de leurs attaques, un colosse défiguré apporte une aide inespérée aux enfants, au prix de graves blessures que Cora soigne de son mieux. Muet, l’homme-monstre ne communique que par des mots griffonnés sur un carnet. Sam, le seul qui sache lire, se rapproche de lui et se trouve ainsi embarqué dans le monde licencieux des bas-fonds. 

Expéditions punitives, lynchages et explosions précipitent l’adolescent dans l’univers honni des adultes, qui le fascine et le repousse à la fois. Au point de modifier sa nature profonde, et de l’éloigner insidieusement de Cora.

J’ai la tenace habitude de lire plusieurs livres en parallèle. Trois la plupart du temps. Voire quatre. Cinq quand la gourmandise occupe le barreau le mieux placé de mon échelle des péchés.

Seulement voilà, ce bel édifice s’effondre parfois. Les parallèles se fondent en une seule ligne, un seul livre.

Ce livre est un feu de Bengale, il dévore, ne laisse que des cendres là où on avait commencé à patiemment organiser un échafaudage mental presque inconscient. Je ne crois pas au classement, top dix des meilleurs livres et autres conneries mais je ne peux m’empêcher de hiérarchiser malgré tout. De cerner mes coups de cœur de la rentrée littéraire parmi les nouveautés que j’ai lues, partiels et partiaux.

Et puis... Whitmer.

La bourrasque valsant les cartes laborieusement équilibrées. Attila juché sur une tondeuse pour que l’herbe ne repousse foutrement pas.

J’avais déjà apprécié plus que de raison Evasion du même auteur. Là, je confine à la déraison. Les Dynamiteurs épuisent mon registre de superlatifs. Je dois me refréner, comme me l’a souligné un pote dernièrement : trop louer tue dans l’œuf la louange, démultiplie l’agacement.

Et merde !

Les dynamiteurs est un grand livre. J’ai déjà tant écrit immense que je m’en mords les doigts. Ce livre est vaste comme un océan.
Un bouquin sombre et violent sur la mythologie américaine. Oui c’est violent, très violent même. J’ai lu que Whitmer serait complaisant avec cette violence, en ferait trop ?

Aucunement.

Ou bien Roth est un brin insistant avec sa bite et son onanisme. Palahniuk ? Il n’a pas un problème avec le malaise qui s’insinue ?

Happés par la plume (et la traduction de l’inévitable Jacques Mailhos), cernés par la construction magistrale, nous tournons fébrilement, anxieusement, les pages vers une fin que nous devinons obscure. Whitmer ne fait pas dans le happy-end, est autant éloigné du feel-good que l’amibe du satellite géostationnaire. Néanmoins, transpirent une humanité, une attention aux plus humbles, qui ne nous donnent pas une raison d’espérer, non, mais une envie de le faire.

Phénoménal.

Quelles chances avaient les autres livres face aux Dynamiteurs de Benjamin Whitmer ?

Pas l’ombre d’une.

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