lundi 28 septembre 2020

 

J’ai une conviction, une seule, concernant la littérature, enfin le genre de littérature que je pratique : c’est le lieu où on ne ment pas.

C’est l’histoire d’un livre sur le yoga et la dépression. La méditation et le terrorisme. L’aspiration à l’unité et le trouble bipolaire. Des choses qui n’ont pas l’air d’aller ensemble, et pourtant : elles vont ensemble.

Précisons d’emblée que je suis un grand fan de Carrère. J’ai tout lu ou peu s’en faut. Si j’ai apprécié ses livres de fiction, j’ai réellement été pris d’enthousiasme depuis qu’il a pris le virage de l’autofiction. Ce qui est étonnant. Habituellement, je me carre le moignon jusqu’à la garde des atermoiements, des relations difficiles avec papa, des silences « qui cachent forcément quelque chose » avec maman. Pour vous situer, je m’en bats les coudes à grands coups de pelle des tourments de Constance Debré, par exemple. 

Mais Carrère, s’il part de lui, va ailleurs, vers l’Autre, Philippe K Dick, Saint Paul, etc. Son nombril s’ouvre pour adopter la forme du zoom, de la focale. Il tend à l’universel.

Pas là. Dans Yoga, Emmanuel Carrère parle de Carrère Emmanuel. Point. Ni de Limonov, d’Adversaire, pas d’autres vies que la sienne. 

Baste ! Il nous parle de lui mais comment ? Jusqu’à présent il sut le faire sans complaisance. 

Dans Yoga... et bien... Ces pages de cul... Comment dire ? Elles ne m’ont pas choqué non, elles sont trop ridicules pour cela. Ces paragraphes sur le sexe tantrique, la houle impétueuse, implacable qui s’arrête au bord de la jouissance... Manu est toujours dans le Game : je suis un super coup puisque c’est moi qui vous le dis. 

Mais il est sincère Carrère. 

On en parle du personnage de Frederica ? Cette scène où les gens qui font la connaissance de Frederica doivent choisir entre Fred ou Erica. Carrère opte pour Erica. Et apprendre finalement que ce prénom a été changé. Mais alors, ce match Fred / Erica ? C’est de la couille ? Et si c’en est, pourquoi pas ailleurs ? Ces quelques pages à l’aéroport de Lisbonne, trop belles pour être vrai, ce jeu de séduction, de regards qui s’évitent ? (D’ailleurs j’en profite pour signaler à Emmanuel Carrère qu’un regard fuyant n’est parfois rien d’autre qu’un regard fuyant) ?  Frederica existe-t-elle seulement ?

Un dernier mot pour dire que je regrette ce rendez-vous manqué car mon dézingage ne doit pas masquer la fluidité de la plume, les passages parfois brillants voire bouleversants. Mais un livre est un tout...

Je m’en voudrais de laisser croire à un frisson convenu du flingage en règle du phénomène littéraire adoubé et célébré. Je tiens l’esprit de contradiction pour aussi stupide que le suivisme bêlant. In fine, c’est bien l’avis du plus grand nombre qui compte, pour s’en démarquer ou s’y rallier.

Je ne nie pas la souffrance de Carrère. Je le crois. Je m’en fous un peu (désolé) mais je le crois. Le reste en revanche... 

Là où on ne ment pas. Vraiment ?

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