mercredi 9 septembre 2020

 


« La langue et la syntaxe, il me semble, c'est comme beaucoup d'autres choses. Un type qui s'en sert pas - qui voit pas autour de lui de gens qui exigent l'une et l'autre -, il a tôt fait d'en perdre le réflexe. Pour lui, ce qui est correct et ce qui ne l'est pas, ça devient interchangeable. »

Je ne sais si Marcel Duhamel et ses traducteurs cleptomanes ont conservé ce passage dans la première version de ce roman de Jim Thompson paru à la Série Noire. Il était d’usage consternant, à l’époque, de couper dans le texte, jusqu’à 30 % (marqué en toutes lettres dans le contrat !).

Imaginons que l’on décide de benner une bonne centaine de pages du Moby Dick de Melville, pour faire avancer l’action, comme justifié au temps béni de la faucheuse éditoriale du pulp à la française. Je crois que les cris d’orfraie auraient passé la bascule de l’humainement possible.

Il faut encore et toujours rendre grâce à François Guerif pour sa redécouverte de Thompson et cette nouvelle traduction INTÉGRALE (et magnifique) de Jean Paul Gratias.

Moi je m’interroge, comment ils ont fait à la Série Noire ? Que retrancher de Pottsville, 1280 habitants ? Ce polar grinçant de Jim Thompson tutoie la perfection et s’épanouit dans un absolu métaphysique. Il est toujours réjouissant de contempler la revanche d’un looser, de voir un gagne-petit miser grand et rafler le pot.

Mais très vite le malaise pointe, s’installe comme le porc dans la soue. Car Nick Corey devient un chuchoteur, un murmureur de sortilèges aux oreilles de la populace. La foule a l’intelligence bête et Corey y implante les germes du doute comme un Iago de la campagne. Thompson atteint ici une acmé, la quintessence du polar de bouseux, là où on élit le shérif pour qu’il n’emmerde pas les honnêtes gens, ceux qui ont le pouvoir d’achat idoine.

Et puis... Thompson continue à grimper. Pottsville verse alors dans la démence. Corey s’enivre de sa ruse matoise, de son habilité manœuvrière, son sens de l’improvisation meurtrière. Il s’imagine, peu à peu, l’instrument de Dieu. Oscillant entre le loufoque, l’absurde et le noir profond, Thompson explose le cadre, un Icare aux ailes qui ne fondent pas.

Impressionnant.

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire