Je ne sais si
Marcel Duhamel et ses traducteurs cleptomanes ont conservé ce passage dans la
première version de ce roman de Jim Thompson paru à la Série Noire. Il était
d’usage consternant, à l’époque, de couper dans le texte, jusqu’à 30 % (marqué
en toutes lettres dans le contrat !).
Imaginons que
l’on décide de benner une bonne centaine de pages du Moby Dick de Melville,
pour faire avancer l’action, comme justifié au temps béni de la faucheuse
éditoriale du pulp à la française. Je crois que les cris d’orfraie auraient
passé la bascule de l’humainement possible.
Il faut encore
et toujours rendre grâce à François Guerif pour sa redécouverte de Thompson et
cette nouvelle traduction INTÉGRALE (et magnifique) de Jean Paul Gratias.
Moi je
m’interroge, comment ils ont fait à la Série Noire ? Que retrancher de
Pottsville, 1280 habitants ? Ce polar grinçant de Jim Thompson tutoie la
perfection et s’épanouit dans un absolu métaphysique. Il est toujours
réjouissant de contempler la revanche d’un looser, de voir un gagne-petit miser
grand et rafler le pot.
Mais très vite
le malaise pointe, s’installe comme le porc dans la soue. Car Nick Corey
devient un chuchoteur, un murmureur de sortilèges aux oreilles de la populace.
La foule a l’intelligence bête et Corey y implante les germes du doute comme un
Iago de la campagne. Thompson atteint ici une acmé, la quintessence du polar de
bouseux, là où on élit le shérif pour qu’il n’emmerde pas les honnêtes gens,
ceux qui ont le pouvoir d’achat idoine.
Et puis...
Thompson continue à grimper. Pottsville verse alors dans la démence. Corey
s’enivre de sa ruse matoise, de son habilité manœuvrière, son sens de
l’improvisation meurtrière. Il s’imagine, peu à peu, l’instrument de Dieu.
Oscillant entre le loufoque, l’absurde et le noir profond, Thompson explose le
cadre, un Icare aux ailes qui ne fondent pas.
Impressionnant.
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