mercredi 7 octobre 2020


L'empathie, ce n'est pas se tenir au-dessus d'un trou en disant qu'on comprend, l'empathie, c'est avoir soi-même été dans ce trou.

Caroline du Nord. Darl Moody vit dans un mobile home sur l'ancienne propriété de sa famille. 

Un soir, alors qu'il braconne sur des terres voisines, il tue accidentellement un homme. Lorsqu'il réalise qu'il s'agit d'un membre du clan Brewer, connu dans cette région désolée des Appalaches pour sa violence et sa cruauté, il craint pour sa vie et celle de ses proches. Une seule personne peut l'aider : son meilleur ami, Calvin Hooper. 

Mais Dwayne Brewer, à la recherche de son frère disparu, a vite fait de remonter la piste jusqu'à Darl et Calvin. Pour eux, le cauchemar ne fait que commencer.

David Joy.

Son patronyme ressemble à un pied de nez à son œuvre qui est une exploration obstinée des arcanes obscures de la psyché humaine. David Joy est un mineur, troquant son piolet contre un stylo, plongeant semblablement dans les tréfonds.

J’ai lu Ce lien entre nous bien en amont de sa sortie. J’ai contenu une ode, un dithyrambe jusqu’au jour de la parution. Le temps écoulé aurait pu atténuer le panégyrique, faire retomber la mousse, emplir mon palais d’un bof ne demandant qu’à sortir.

J’ai ressorti mon exemplaire annoté, pages cornées, marges crayonnées et rien n’y fait. Ce livre est immense. David Joy y poursuit obstinément sa traque des failles, des tourments de ces laissés de côté, ruraux mobilhomés, durs à la tâche quand ils en trouvent une. S’éloignant quelque peu de la noirceur opaque de son précédent livre, Le poids du monde (formidable !), Ce lien entre nous navigue entre tragique et tendresse sans abdiquer, jamais, une attention à l’autre, une bienveillance sourde, même envers les plus enténébrés de ses personnages.

Comment se fait-il que David Joy ne sombre pas dans une complaisance glauque et ne nous porte pas le palpitant à l’orée des lèvres ? C’est que Joy possède une grâce. Immergé dans la fange, clapotant dans la merde, il insuffle de la grandeur dans la bassesse, de l’apesanteur dans la pesanteur. Et sans effets, sans forcer, sans ce regard sur l’écriture, ce retour sur investissement qui pollue parfois, à chercher l’effet, le claquement, la sentence, charger inutilement une barque dont on voudrait jeter l’encre.

David Joy écrit cristallin et oxymore : dense et direct, simple et travaillé. Il magnifie ainsi son propos. Le fond rejoint la forme. Il atteint l’universel et trouble les positions qui paraissaient solidement établie. Nous sommes saisis d’effroi et de pitié envers un colosse bas du front, de ceux qui ont eu le cervelet empêché de développement pour cause de casquette trop serrée. Les sensations se mêlent, les sentiments se fondent et nos certitudes vacillent dans un même mouvement.

Finalement David Joy porte bien son nom. Il met de la joie où il ne peut y en avoir. 

Magnifiquement traduit par Fabrice Pointeau.

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