mercredi 7 octobre 2020


Pourtant je crois que l'esprit révolutionnaire se tient tout entier dans une protestation de l'homme contre la condition de l'homme.

James se sent à l’étroit dans son petit bureau new-yorkais du Chrysler Building, à l’étroit dans son métier de journaliste comme dans sa vie. Il travaille pour Fortune, le magazine le plus libéral du pays. Tout ce qu’il hait. Alors quand son rédacteur en chef l’envoie dans son Sud natal pour une enquête sur la vie des métayers en Alabama, James se sent revivre. D’autant qu’on lui adjoint pour ce voyage un jeune photographe inconnu avec lequel il s’entend d’emblée. Le reportage deviendra un brûlot, un plaidoyer, un cri rageur face à la pauvreté des fermiers dans ces sinistres années trente. Puis un livre, un grand livre signé James Agee et Walker Evans, "Louons maintenant les grands hommes".

Le nom de James Agee se met à circuler chez les écrivains, les journalistes, tous les intellectuels. On parle d’un type fascinant, insupportable, brillant, révolté, alcoolique. Il travaille à un scénario pour John Huston, enchaîne les mariages, devient l’ami de Chaplin, et on dit même que pour son premier film en tant que réalisateur, l’illustre Charles Laughton lui a confié l’adaptation de "La Nuit du chasseur".

Rodolphe Barry s’est attaché à faire vivre l’homme caché derrière ces œuvres et nous fait découvrir un artiste dont la soif d’absolu se fracasse sans cesse contre le réel, un homme en colère que ses propres faiblesses écœurent.

J’ai l’habitude de lire au crayon de bois. Je souligne les phrases les plus marquantes, les réflexions acérées. Il m’arrive de corner les pages quand j’égare mon crayon. Mon exemplaire d’Honorer la fureur est ainsi bariolé, marqué. Il est des livres qui nécessitent des pauses plus répétées que d’autres. Honorer la fureur, je ne l’ai que depuis peu de temps mais il présente déjà la patine de la lecture attentive, l’usage du bouquin trimbalé, brinquebalant dans le sac à dos ou aplati du rangement dans la poche...

C’est finalement logique, qu’un livre ressemble à son sujet.

Jame Agee fut un écrivain météore des année trente. Débutant comme journaliste, il étouffe. James Agee est un absolu confit dans un bipède. Le magazine qui l’emploie lui propose alors un reportage sur les métayers du Sud des Etats-Unis, ceux qui encaissent frontalement la récession. James y trouve son épiphanie littéraire. Accompagné du photographe Walker Evans, Agee va déborder du cadre usuel et ronronnant de l’article de commande, celui qui comprend, qui compassionne mollement avant de louer le New Deal Rooseveltien ; il s’agit de mériter son susucre.

L’article devient livre : Louons maintenant les grands hommes. Un chant, un cri, un manifeste.
Rodolphe Barry se tient dans l’ombre tourmentée de James Agee. Cette figure christique, aspirant au martyr, attiré par le péché. D’un style ample, d’une fièvre bienveillante, Barry retranscrit avec maestria et dans une sorte d’urgence, la trajectoire d’un être complexe, séducteur et dépressif, se coltinant un mépris de soi qu’il noie dans une hygiène de vie que le qualificatif de déplorable peine à retranscrire. Puis, la carrière de scénariste hollywoodien, l’amitié avec John Huston et Chaplin (qu’il fut l’un des rares à défendre lors de la vague anti-rouge) ...

Barry épouse les aléas d’un auteur pour qui compromis n’est que le diminutif de compromission.

Pour dire le vrai, je me méfie de ces épris.e.s  d’absolu, ces assoiffé.e.s de radicalité, cela marque souvent une pénibilité existentielle de huit sur l’échelle du concassage des noix de cajou mais Agee... « Il n’existe nulle part de mode d’emploi pour un type comme lui »

Remarquable.

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