mercredi 9 septembre 2020



Souvent il repensait à l'une des dernières phrases qu'il aura entendu prononcer par le père Crayssac, à propos de la télé: " Aujourd'hui on ouvre sa porte au monde pour ne pas savoir ce qui se passe chez soi. "

La France est noyée sous une tempête diluvienne qui lui donne des airs, en ce dernier jour de 1999, de fin du monde. Alexandre, reclus dans sa ferme du Lot où il a grandi avec ses trois sœurs, semble redouter davantage l’arrivée des gendarmes. Seul dans la nuit noire, il va revivre la fin d’un autre monde, les derniers jours de cette vie paysanne et en retrait qui lui paraissait immuable enfant. Entre l’homme et la nature, la relation n’a cessé de se tendre. À qui la faute ?

S’il y a un domaine qui se porte bien dans le milieu de l’édition, c’est le cynisme. Cette distanciation mentale est bien plus prégnante que la sociale. Ce rien à foutre imbibe nombre de pages et fait le succès de nombreux auteur.e.s, Michel Houellebecq en tête.

Je n’ai rien contre. 

Il est toutefois rafraîchissant de lire un écrivain qui s’en affranchit. Serge Joncour creuse son sillon obstinément, traçant une ligne inédite, synthétisant cette fameuse littérature de Brive (Michelet et son épatant Des grives au loup) et celle qui concoure aux prix littéraires et participe de cette rentrée livresque qui va nous happer jusqu’à fin octobre, jusqu’aux heureuses élues, distingués palmés.

Serge Joncour confirme ce nature-writing hexagonal, ce Gallmeister provincial, qui lui est propre et inimitable.

On suit les tourments et les joies d’Alexandre, seul fils d’une famille de paysans, promis à reprendre l’exploitation familiale. Les drames paysans n’ont pas manqué ces derniers temps pour nous rappeler le drame de nos campagnes, Joncour ne nie pas les difficultés. 

Chroniquant, des années 1975 à 2000, une vie d’agriculteur, il souligne que cette profession a connu sa part de tectonique des plaques. De l’implantation des hypermarchés aux scandales sanitaires, sa pratique fut irrémédiablement chamboulée. 

On assiste, à la lecture de Nature humaine, à ces décades charnières où un usage traditionnel bascule dans un productivisme mortifère. Il souligne également la fierté de ce métier, la joie qu’il peut procurer.

Entre les lignes, Serge Joncour, se fait le chantre d’une agriculture respectueuse, raisonnée sans virer au vieux con anti-progrès, verrouillé à son muret. 

Au-delà, Joncour refait vivre toute une époque, de l’ultragauche versant dans la lutte armée, l’espoir fébrile du Mitterrandisme virginal à l’effarement terrifié devant le cataclysme de Tchernobyl.

Célébrant l’amour, l’espoir et la beauté invraisemblable de la nature quand on lui fout la paix, sans naïveté ni effets de manches, Serge Joncour affirme sa place à part dans la littérature française. 

Éminente.

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