mercredi 5 août 2020





Quatrième lecture du Prix meilleur Polar Points 2021
« De la mort à n’en plus finir, de la mort comme une matière dont on aurait nappé l’endroit de là jusqu’à trop loin. »

Hyacinthe Kergourlé découvre, à vingt ans, l'enfer des tranchées. À l'armistice, il regagne la ferme familiale avec un bras en moins mais quelque chose incrusté dans les profondeurs de son âme. Sa vie ne sera plus dès lors qu’une longue équipée sauvage. 

Hyacinthe Kergoulé a le douloureux privilège de naître une seconde fois. Enfoui sous un monceau de cadavres dans une tranchée de Verdun en 1916, il va s’extirper de ce magma de membres pour arriver au monde seconde fois. Contrairement à sa première parturiente, il va conserver le souvenir intact de ce deuxième accouchement... Episode fondateur qui va tracer la trajectoire de cet homme et nous de la lire dans ce livre très travaillé, au style précis, chirurgical et odorant, sensoriel.

Les premières pages du Goût de la viande sont saisissantes. Cette captation de la folie nihiliste des nations, cet élan à s’étriper et la folie qui en découle. Car Hyacinthe sombre dans la démence. Les chapitres inauguraux d’Au revoir là-haut étaient ce que j’avais lu de plus percutant, dernièrement, sur la furie de la Der des Der. Le goût de la viande relance le dé. La lecture des premiers paragraphes est une expérience éprouvante. On en aurait des hauts le cœur, presque. 

Les prémices sont donc augures d’un frisson malaisé, un livre qui nous sortira de cette foutue « zone de confort ». Le gant est relevé même si le cheminement de Hyacinthe Kergoulé ne répond pas à l’image que je me fais d’une longue équipée sauvage assénée par la quatrième de couverture. Gildas Guyot l’enserre plutôt dans la charpente crapoteuse, étriquée et sordide d’un Dupont Lajoie Simenonien, Chabrolien. 

Portée par une plume empathique, sinueuse (qui fait songer à un Philippe Claudel, celui des Âmes grises, qui aurait basculé du côté obscur), Le goût de la viande est plus proche du roman historique, du récit amoraliste, à la frontière du trip expérimental que du polar pur et dur. Je devine les interrogations qui vont naître sur la cohérence de sa sélection. 

Peu importe finalement les étiquettes, je n’en suis guère friand. Le goût de la viande est une expérience. Hyacinthe Kergoulé démontre qu’on ne peut revenir de la guerre car la guerre revient avec nous.

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