mardi 7 juillet 2020


- Je ne vous blâme pas, dit Christopher. Vous aviez tous les atouts pour vous. Vous aviez déjà supprimé les neuf dixièmes des Indiens, vous les aviez dépouillés de leurs terres, et maintenant vous aviez tous ces Noirs qui travaillaient pour vous gratis , et vous n'avez pas voulu qu'un nègre de Walla Walla puisse parler à un nègre de Boula Boula. S'ils avaient pu se parler, ils auraient peut-être réussi à trouver un moyen pour vous couper la tête et se débarrasser de vous. - Il sourit - Vous pigez. - Alors vous nous avez donné Jésus. Et vous nous avez dit que c'était Dieu qui voulait que nous halions les chalands et que nous nous coltinions les balles de coton, pendant que vous étiez en train de vous enrichir, bien calés sur vos grandes fesses blanches.


Les événements ont remis James Baldwin à sa juste place. Celle d’un des plus grands écrivains américains du siècle dernier et de celui là qui ne part pas pour être plus aimable que son prédécesseur. L’assassinant de Georges Floyd et la vague d’indignation qu’elle a suscitée (puisse l’écume ne pas retomber) ont crée un appétit de James Baldwin. Il est l’un des grands auteurs de la ségrégation étasunienne, de ceux qui font comprendre, qui nous donne l’illusion de ressentir l’humiliation quand nous lisons, confortables en nos canapés.


États-Unis, années 1960. Au sommet de sa carrière, l’acteur noir américain Leo Proudhammer est terrassé par une crise cardiaque. 

Alors qu’il oscille entre la vie et la mort, il se remémore les choix qui l’ont rendu célèbre mais aussi terriblement vulnérable. 

De son enfance dans les rues de Harlem à son entrée dans le monde du théâtre, l’existence de Leo est déchirée par le désir et la perte, la honte et la rage : un frère qui disparaît, une liaison avec une femme blanche... 

Toujours affleure l’angoisse d’être noir dans une société au bord de la guerre raciale.

Virginie Despentes a écrit avant moi l’oubli que nous sommes blancs. La couleur de ma peau n’est pas un problème, pas même une donnée à prendre en compte. Je me prénomme Christophe. Mon CV débute sur des bases saines pour le recruteur avisé. James Baldwin n’a pas le luxe de cette amnésie. Le héros de L’homme qui meut, Léo Proudhommer, non plus.


Mourir sur scène est le fantasme du tragédien mais quand une main semble comprimer votre cœur, le tordre comme une serpillière, le fantasme n’en est plus un. Léo Proudhommer oscille entre la vie et la mort et se souvient. De son enfance, son frère trop tôt enlevé, ses amours et sa rage. La rage d’être déjà catalogué avant de desserrer les lèvres, d’être ramené à une condition, un prérequis, un homme noir. Une sorte d’homoncule, sans identité propre, sans plus d’autonomie qu’une abeille dans la ruche.

Ce livre relate un combat. Une lutte pour qu’un homme devienne celui qu’il veut être. L’homme qui meurt n’est pas d’un accès facile. La lecture est aride. Point de courts chapitres, de paragraphes concis, de ceux qui permettent d’insérer le marque page à répétition. Le style élégant, sinueux et hypnotique, à l’orée de la colère, à un jet d’encre de la hargne répond à cette charpente. Cet ensemble provoque l’immersion. On plonge en Léo Proudhommer et son Amérique. On en ressort sonné, incommode...

De ces livres dont on cherche une place de choix dans la bibliothèque, que l’on ne se résout pas à placer dans les rayonnages, qu’on laisse à plat. Voir cet homme sur la couverture, en surplomb, et prolonger l’expérience...

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