mercredi 9 septembre 2020


Quand les choses tournaient mal, ça semblait toujours se produire subitement. Rien n'arrivait graduellement, de sorte à vous laisser le temps de serrer les dents et d'encaisser un petit peu chaque fois. Non, la vie avait le don de vous envoyer la merde par pelletées, comme si Dieu là-haut était en train de nettoyer les écuries et qu'on avait la malchance de se trouver en dessous.

Après avoir quitté l’armée et l’horreur des champs de bataille du Moyen-Orient, Thad Broom revient dans son village natal des Appalaches. 

N’ayant nulle part où aller, il s’installe dans sa vieille caravane près de la maison de sa mère, April, qui lutte elle aussi contre de vieux démons. 

Là, il renoue avec son meilleur ami, Aiden McCall. Après la mort accidentelle de leur dealer, Thad et Aiden se retrouvent soudain avec une quantité de drogue et d’argent inespérée. Cadeau de Dieu ou du diable ?

Certaines définitions peinent à embrasser l’entièreté de ce qu’un mot recouvre. Ainsi, la pesanteur n’est pas que la conséquence d’une pomme aux pieds de Newton. La pesanteur possède également une dimension moins sensible, immatérielle, spirituelle pour tout dire.

Peu importent les chiffres, énoncés par la balance, si l’on pesait Thad, Aiden et April, les personnages chaotiques du Poids du monde, ils ne reflèteraient pas leur poids réel. Il y a les kilos et il y a la pesanteur, celle qui nous ancre dans le monde. Ils ont beau afficher la silhouette émaciée du perdant, leur pesanteur est plus pesante...

J’ai lu le prochain roman de David Joy, Ce lien entre nous, prochaine claque de la rentrée littéraire. Je ne suis guère adepte de chroniquer des livres avant leur sortie. J’ai dû me résoudre à étouffer un chant d’amour. Un chant d’amour ne doit pas mourir, coincé dans la glotte. Je contourne la frustration en me rabattant sur le livre précédent de cet auteur.

Et de constater que l’usage du verbe rabattre est d’une pauvreté insigne devant l’incandescence de ce bouquin. S’inscrivant dans la lignée d’un Ray Pollock, David Joy trempe sa plume dans la hargne, celle des petits blancs qui s’abrutissent à l’alcool de vidange, celui que l’on trouve dans les linéaires à ras du sol. Les bas du front édentés qui ressassent leur colère en leur mobil-home. Celles et ceux qui ont porté Moumoute o(e)nragée à la Maison Blanche.

Aiden et Thad ne font pas de politique. Juste deux amis que la vie accable. La lecture laisse une sensation tenace que Dieu est un croupier qui doit écouler son lot de jetons viciés. Ils en ont reçu leur part. Quand leur chance semble tourner, ce n’est qu’un léger décalage du camion benne. La vie va racler une grosse glaire pour leur morver la tronche.

Et pourtant, pourtant, quelle beauté dans ce livre. Tout dans la plume, rien dans les effets. Un style qui n’adopte aucune posture, nulle pose ni condescendance mais qui atteint une paradoxale grandeur dans le sordide. David Joy hisse la fange, trouve l’apesanteur dans la pesanteur.

Bel exploit, vous en conviendrez...

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