vendredi 3 juillet 2020


Le furtif, dans les représentations qui émergent, c'est le clandestin, l'insaisissable, le migrant intérieur.

Il est des post plus intimidants que d’autres. J’ai quelque peu reculé devant l’immensité du défi, chroniquer et donner envie en 2200 signes. Circonscrire en une politique de fonctionnement et des conditions générales, un monstre protéiforme tel que Les furtif, c’est comme dresser un crapaud buffle au saut à la perche... Ce n’est pas gagné.


Ils sont là parmi nous, jamais où tu regardes, à circuler dans les angles morts de la vision humaine. On les appelle les furtifs. Des fantômes ? Plutôt l'exact inverse : des êtres de chair et de sons, à la vitalité hors norme, qui métabolisent dans leur trajet aussi bien pierre, déchet, animal ou plante pour alimenter leurs métamorphoses incessantes. 

Lorca Varèse, sociologue pour communes autogérées, et sa femme Sahar, proferrante dans la rue pour les enfants que l'éducation nationale, en faillite, a abandonnés, ont vu leur couple brisé par la disparition de leur fille unique de quatre ans, Tishka - volatisée un matin, inexplicablement. Sahar ne parvient pas à faire son deuil alors que Lorca, convaincu que sa fille est partie avec les furtifs, intègre une unité clandestine de l'armée chargée de chasser ces animaux extraordinaires. 

Là, il va découvrir que ceux-ci naissent d'une mélodie fondamentale, le frisson, et ne peuvent être vus sans être aussitôt pétrifiés. Peu à peu il apprendra à apprivoiser leur puissance de vie et, ainsi, à la faire sienne. 

Les Furtifs vous plonge dans un futur proche et fluide où le technococon a affiné ses prises sur nos existences. Une bague interface nos rapports au monde en offrant à chaque individu son alter ego numérique, sous forme d'IA personnalisée, où viennent se concentrer nos besoins vampirisés d'écoute et d'échanges. Partout où cela s'avérait rentable, les villes ont été rachetées par des multinationales pour être gérées en zones standard, premium et privilège selon le forfait citoyen dont vous vous acquittez. 

La bague au doigt, vous êtes tout à fait libres et parfaitement tracés, soumis au régime d'auto-aliénation consentant propre au raffinement du capitalisme cognitif.

Les furtifs est un livre monstre où Damasio se montre, comme toujours, d’une inventivité folle, presque flippante. Un cosmos. Créé non pas ex-nihilo, mais bel et bien du notre. Nos néo-libéraux, sourds à toutes critiques, tout léger doute qui affleurerait par lassitude, ne lisent pas Damasio. Ils n’en ont pas le temps, enfermés dans leurs certitudes. Si notre planète fonce dans le mur, il convient d’accélérer, déréguler plus et tant, accélérer merde ! Enlever sa ceinture et déconnecter l’airbag.

Les héros des Furtifs se meuvent dans une France capitalisée à l’extrême, une logique poussée dans ses ultimes retranchements. Certaines rues ne sont accessibles que sur abonnements, des quartiers entiers sont interdits à celles et ceux qui ne possèdent par le forfait idoine. Et surgissent les Furtifs, créatures qui échappent à cette captation marchande, qui se logent dans des interstices incontrôlés.

C’est à une quête épique, profondément émouvante que nous convie Alain Damasio. Emplie d’une révolte, de rêve d’enclaves, de communautés de biens utopistes. Et les définissant comme utopistes, je souscris à cette propagande ambiante, ce prémâché frappant quotidiennement nos tympans... Les furtifs est livre de réveil. Il ne provoque pas cet apaisement que l’on recherche parfois. Ce n’est pas un bouquin pour passer le temps alors qu’on ne le voit pas passer, un paradoxe...

Et quelle plume ! Déjà dans son Magnus Opus, La horde du Contrevent, il faisait preuve d’une fertilité, d’une virtuosité qui ne semblaient pas relever de cette dimension. Du coup, je m’interroge. Est-on vraiment sûr que Damasio est de notre monde ?

Merci aux éditions La Volte, pour la mise en beauté. L’illustration musicale de Yan Pechin qui accompagne le livre est tout sauf un gadget : une tenue de plongée, un shoot immersif.

Un voyage étourdissant...

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