samedi 3 octobre 2020




Edgar aimait le pouvoir mais il en détestait les aléas. Il aurait trouvé humiliant de devoir le remettre enjeu à intervalles réguliers devant des électeurs qui n'avaient pas le millième de sa capacité à raisonner. Et il n'admettait pas non plus que les hommes élus par ce troupeau sans éducation ni classe puissent menacer sa position qui devait être stable dans l'intérêt même du pays. Il était devenu à sa façon consul à vie.

John Edgar Hoover, à la tête du FBI pendant près d'un demi-siècle, a imposé son ombre à tous les dirigeants américains. De 1924 à 1972, les plus grands personnages de l'histoire des Etats-Unis seront traqués jusque dans leur intimité par celui qui s'est érigé en garant de la morale.

Ce roman les fait revivre à travers les dialogues, les comptes rendus d'écoute et les fiches de renseignement que dévoilent sans réserve des Mémoires attribués à Clyde Tolson, adjoint mais surtout amant d'Edgar. 

Il fallait bien, à un moment ou un autre, que je parle de Marc Dugain. Cet écrivain est parmi mes préférés. Je crois que cela tient, outre la qualité indéniable de ces œuvres, à la place qu’il occupe dans le paysage littéraire français. Il ne parle pas de lui. Ni de sa mère. Ni de son père. Il ne conte pas ses atermoiements, angoisse insurmontable circonscrite à un hôtel particulier, douloureux héritages... Il ne s’attarde pas sur ce résidu de cordon ombilical qui est trop souvent le terreau fondamental de l’édition hexagonale. C’est prodigieux... Et reposant.

Marc Dugain est de ces amoureux fatigués de l’Amérique, de ces fascinés sans complaisance. Et quelle vision plus viciée et souterraine des USA que celle passée par le prisme de J Edgar Hoover ? Marc Dugain tient un sujet d’ampleur. Comment un homme moyen, en deçà des requis physiques qu’il demande à ses propres agents, un concentré de névroses, va réunir entre ces mains potelées tous les leviers, ou peu s’en faut, du pouvoir étasunien ? Comment va-t-il adopter la posture du téflon, sur lequel tout glisse, peu importe qui tient la poêle ?
Oubliez le thé à l’eau tiède que nous a servi Eastwood, l’œuvre vraie et palpitante du directeur du FBI sur talonnettes, vous l’avez là !

S’appuyant sur une documentation solide, une plume précise et un souffle jamais démenti, Marc Dugain a la superbe idée de choisir le bon angle avec le juste narrateur, le falot Clyde Tolson, l’homme de l’ombre et il fallait se contorsionner pour tenir dans l’ombre réduite du minuscule Hoover. Clyde Tolson. L’adjoint, le colocataire, l’amant.

Tolson est le témoin du règne de cette sorte de consul à vie que fut Hoover. C’est une vie de secrets crapoteux, le sordide voisine la raison d’état qui se confond de plus en plus souvent avec les intérêts de Hoover. Hoover qui tient à jour ses fiches et tient tout le monde par les baloches.  À vrai dire, cette époque fut une grande prise de baloches collective, une grande ronde de jeu à somme nulle.

Un grand roman qui touche à l’universel. Loin de quelque nombril que ce soit.

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