lundi 6 avril 2020


"C'est toujours comme ça. Dans la glace, d'abord on entend la voix de la Bête, ensuite on meurt."

Saluti les aminches. 

J'aime les livres qui vont à l'encontre de certaines idées reçues. J'aime beaucoup la série télé Dexter mais je préfère les polars qui montrent les tueurs en série pour ce qu'ils sont : des psychopathes à l'empathie inexistante, et dangereux, surtout dangereux. J'ai apprécié le film Gravity : l'espace n'est pas un endroit convivial... 

Et la montagne n'est pas que la promesse d'un kaléidoscope quasi infini de paysages grandioses, élevant l'âme. La montagne peut être aussi une saloperie, une Bête qui gronde...


En 1985, dans les montagnes hostiles du Tyrol du Sud, trois jeunes gens sont retrouvés morts dans la forêt de Bletterbach. Ils ont été littéralement broyés pendant une tempête, leurs corps tellement mutilés que la police n’a pu déterminer à l’époque si le massacre était l’oeuvre d’un humain ou d’un animal. 

Cette forêt est depuis la nuit des temps le théâtre de terribles histoires, transmises de génération en génération. 

Trente ans plus tard, Jeremiah Salinger, réalisateur américain de documentaires marié à une femme de la région, entend parler de ce drame et décide de partir à la recherche de la vérité. A Siebenhoch, petite ville des Dolomites où le couple s’est installé, les habitants font tout - parfois de manière menaçante - pour qu’il renonce à son enquête. 

Comme si, à Bletterbach, une force meurtrière qu’on pensait disparue s’était réveillée.

Ce premier roman (remarqué et remarquable) de l'écrivain italien nous transporte sur les monts azuréens et faussement virginaux des Alpes Autrichiennes. Faussement car la folie humaine trouve toujours son chemin. 

L'essence du mal, tel un trépied démoniaque, repose sur trois pieds solidement ancrés au sol. 

La Montagne, omniprésente, sourde et menaçante, pourvoyeuse d'une beauté inouïe également mais dont Salinger, le narrateur, va éprouver dans sa chair la malignité toute puissante. La Bête, omniprésente et omnipotente, un personnage à part entière de ce polar et l'un des plus réussis.

Les autres personnages, venons-y. Une galerie acérée, attachante et menaçante de portraits qui s'imbriquent parfaitement. Mais le plus fort dans ce roman est l'identification immédiate que l'on éprouve pour Salinger et sa famille. Éminemment sympathique, Salinger n'est ni un profiler quasi médiumnique ni un homme brisé noyant dans l'alcool un trauma fondateur. Il s'éloigne des figures parfois imposées (et imposantes) du roman noir. Il est un homme, un époux et un père. Il fait bien son métier, reliant les points et obtenant par la même un schéma cohérent.

Enfin, une construction proprement maléfique, qui balade le lecteur sans que l'on ressente une facilité crispante, ce sentiment de toute puissance presque divine de l'auteur qui, à coup de deus ex machina, noie dans le coup de théâtre forcé moult impossibilités scénaristiques, chronologiques... intrinsèques. Rien de semblable ici, l’ingénierie de ce formidable polar coulisse à la perfection et nous laisse heureux de nous sentir floués mais éclairés à la toute fin de l'ouvrage.

Un polar qui est tel une randonnée. Il multiplie les points de vues splendides avant de nous livrer le dernier, le plus beau, après l'ascension...


L'Essence du mal
Luca d'Andrea
Excellemment traduit par Anaïs Bouteille-Bokobza

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