dimanche 10 mars 2019


"Ma mère disait que manger, c'est lutter contre la mort."

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Ciao les aminches.

La dame en préambule photographique s'appelait Margot Wölk. À l'âge canonique de 96 ans, elle raconta, dans un article de presse, son histoire incroyable : elle fut, durant la seconde guerre mondiale, engagée avec d'autres jeunes femmes, pour goûter les plats d'Hitler, persuadé qu'il était que les Anglais voulaient l'empoisonner.

Margoy Wölk n'était pas une nazie convaincue, elle faisait simplement ce qu'on lui demandait de faire. Elle n'avait guère le choix. Oui mais voilà, payée 200 mark par mois et mangeant à sa faim (fastueusement même) dans un pays en guerre, Margot se sent coupable, complice : elle protège Hitler en quelque sorte...

La jeune autrice, Rosella Postorino, lit cet article de presse. Dodeline-t-elle de la tête devant ce destin ? Je ne sais. Ce qui sûr, c'est qu'elle essaye de contacter Margot Wölk, lui envoie une lettre. Trop tard. Le jour de l'envoi de la missive, Margot Wölk décède. 

Là, deux choix se présentent à Rosella Postorino. Soit elle tourne la page et s'attelle à un autre livre, soit...



1943. Reclus dans son quartier général en Prusse orientale, terrorisé à l’idée que l’on attente à sa vie, Hitler a fait recruter des goûteuses. Parmi elles, Rosa.

Quand les S.S. lui ordonnent de porter une cuillerée à sa bouche, Rosa s’exécute, la peur au ventre : chaque bouchée est peut-être la dernière. Mais elle doit affronter une autre guerre entre les murs de ce réfectoire : considérée comme « l’étrangère », Rosa, qui vient de Berlin, est en butte à l’hostilité de ses compagnes, dont Elfriede, personnalité aussi charismatique qu’autoritaire.

Pourtant, la réalité est la même pour toutes : consentir à leur rôle, c’est à la fois vouloir survivre et accepter l’idée de mourir.

Rosella Postorino a opté pour le chemin le plus escarpé. Il était, en effet, plus périlleux de s'emparer de la vie de Margot Wölk, de la faire parler à la première personne. Il n'y a pas que dans la vie trépidante du start-uper flamboyant que le risque paie. En littérature aussi. 

LA GOÛTEUSE D'HITLER est une belle réussite. Un beau roman empathique et douloureux. À quelques exceptions près, il emporte le lecteur. 

Ainsi, la clique (oui je trouve que c'est une clique) du Masque et la Plume l'a descendu en flammes, avec un élégant "ce livre est une merde" de toute beauté. 

Cette parenthèse inutile vite refermée, revenons au livre. 

Ce livre malaxe certes quelques clichés (le syndrome de Stockholm qui fait un coucou un brin poussif) mais retrace surtout un pan historique archi balisé, vu de l'angle mort de l'Histoire : les civiles allemandes, pas forcément nazies, pas nécessairement résistantes mais foutrement en danger. 

En sursis. 

D'une langue précise, émotionnelle, charnelle, LA GOÛTEUSE D'HITLER nous fait vivre les crampes d'estomac de ces femmes qui mangent à satiété mais redoutent d'enfourner leur dernier repas à chaque fourchetée.

C'est aussi l'occasion de lire des portraits de femmes saisissants, affûtés, des femmes qui traversèrent les années les plus sombres du siècle (et de quelques autres). 

Les dernières pages qui allient miraculeusement le crépuscule à l'aube, sont d'une troublante beauté.

La dernière phrase résume à elle seule presque une vie. 

Un livre qui réussit l'exploit d'être beau sur un sujet laid. 

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