dimanche 10 mars 2019


"Elle se sent éventrée, vidée, rien en elle, rien à dire, elle n'arrive pas à penser, ne ressent rien. S'il y a du chagrin quelque part en elle, elle ne le sent pas. Elle a l'impression qu'on lui a arraché quelque chose dans les tripes, les racines et tout le reste, un grand aulne, et à la place ne demeure plus qu'un vide écœurant, mais c'est tout ce qu'elle éprouve, pas de chagrin, rien. Elle serait capable d'infliger de terribles dégâts, si elle le souhaitait. Elle pourrait faire n'importe quoi, il n'y aurait aucune limite à la peine qu'elle pourrait causer, sauf qu'en cet instant, elle souhaite simplement fermer les yeux, faire tourner son esprit autour de ce vide comme on fait tourner sa langue autour du trou laissé par une dent arrachée. Si elle en était capable, elle ferait cesser ce bruit constant dans ses oreilles, terrible et aigu."

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Hello les aminches.

Je suis un grand lecteur. Enquillant les livres, je m'efforce de diversifier mes lectures mais je me rends compte que, malgré mes efforts, je ne peux que constater une tendances lourde. 

J'aime la littérature nord-américaine. Je préfère les grands espaces au questionnement nombriliste du littérateur français qui change les noms mais raconte son papa et sa maman (et c'est parfois terriblement réussi pourtant). 

Je suis forcément injuste.

D'autant plus que la dernière claque (10 sur l’échelle de Richter) de lecture que je me suis frontalement enquillé dans les paupières raconte un papa. Un papa et sa fille. 


A quatorze ans, Turtle Alveston arpente les bois de la côte nord de la Californie avec un fusil et un pistolet pour seuls compagnons. Elle trouve refuge sur les plages et les îlots rocheux qu'elle parcourt sur des kilomètres. 

Mais si le monde extérieur s'ouvre à elle dans toute son immensité, son univers familial est étroit et menaçant : Turtle a grandi seule, sous la coupe d'un père charismatique et abusif. Sa vie sociale est confinée au collège, et elle repousse quiconque essaye de percer sa carapace. 

Jusqu'au jour où elle rencontre Jacob, un lycéen blagueur qu'elle intrigue et fascine à la fois. Poussée par cette amitié naissante, Turtle décide alors d'échapper à son père et plonge dans une aventure sans retour où elle mettra en jeu sa liberté et sa survie.

Gabriel Tallent a mis plusieurs années avant de finir ce livre. J'ai mis quelques jours à le plier. 

MY ABSOLUTE DARLING reposée sur l'étagère, la tranche cernée d'autres tranches de livres, on sait déjà que ce livre fera date, que notre œil cherchera immanquablement sa couverture orangée. 

On sait déjà notre gratitude envers les éditions Gallmeister qui, de leur patte d'ours, dénichent des pépites comme les cochons les truffes. Notre gratitude envers Laura Derajinski la traductrice qui fait danser les mots de Gabriel Tallent, les retranscrit dans une langue cristalline à nos iris affamés. 

Julia "Turtle" Avelston et son papa Martin vivent dans un mobil-home. Entourés d'armes à feu et de poignards de chasse effilés, dans une dévotion paternelle envers la mort par balle et le survivalisme autosuffisant.

MY ABSOLUTE DARLING fut adoubé par Stephen King qui y voit un chef d'oeuvre qui s'ancre dans nos mémoires. Je vois bien ce qui a pu plaire à Sa Majesté. Le père, Martin, est une figure maléfique complexe et troublante, dont le charme pervers se délite au fur et à mesure que les yeux de Turtle se dessillent. Un monstre littéraire.

Martin Avelston qui lit Descartes dans le texte, qui rhétorise brillamment pour impressionner sa fille de 14 ans. Non, en fait, pas pour l'impressionner, pour la séduire. Martin Avelston qui n'atteint pas l'ongle d'un doigt de pied de sa fille Julia Avelston, surnommée Turtle. 

Jeune fille qui se refuse à ployer, à casser. Qui n'embrasse pas sa destinée de victime brisée. Elle est inoubliable

Ce bouquin n'est certainement pas un manifeste, ne s'embarrasse pas d'un formalisme documentaire mais possède un souffle qui vous empoigne pour ne plus vous lâcher durant ces quelques 450 pages sous tension, tension qui explose dans un final hallucinant

Un premier (!) roman. Le terme clé est premier. Impressionnant de maîtrise, MY ABSOLUTE DARLING est un chef d'oeuvre étouffant, parsemé de scènes à la limite du soutenable et d'autres pages d'une beauté douloureuse. À tel point que je souhaite que Gabriel Tallent arrive à se détacher de son Absolute Darling et ne se Salingerise pas dans un chalet inaccessible du Montana.

MY ABSOLUTE DARLING pose un constat : Il faut parfois se méfier des absolus, ils ne sont pas toujours enviables.

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