dimanche 14 octobre 2018



"C'était un homme immense, avec des épaules larges, une carrure d'équarrisseur. Des mains de géant. Des mains qui auraient pu décapiter un poussin comme on décapsule une bouteille de Coca. En dehors de la chasse, mon père avait deux passions dans la vie : la télé et le whisky. Et quand il n'était pas en train de chercher des animaux à tuer aux quatre coins de la planète, il branchait la télé sur des enceintes qui avaient coûté le prix d'une petite voiture, une bouteille de Glenfiddich à la main. Il faisait celui qui parlait à ma mère, mais, en réalité, on aurait pu la remplacer par un ficus, il n'aurait pas vu la différence."

***

Bonjour les aminches. 

Norman Mailer, Gore Vidal, ou un gars du même calibre disait que le premier roman devait rester dans un tiroir jusqu'à ce que le deuxième soit achevé*.
* Je tire cette citation du formidable WILD SIDE de Michael Imperioli. J'y reviendrai

A ma connaissance, Adeline Dieudonné n'a pas suivi ce précepte. 

Elle a bien fait.


Chez eux, il y a quatre chambres. Celle du frère, la sienne, celle des parents. Et celle des cadavres. 

Le père est chasseur de gros gibier. Un prédateur en puissance. La mère est transparente, amibe craintive, soumise à ses humeurs.

Avec son frère, Gilles, elle tente de déjouer ce quotidien saumâtre. Ils jouent dans les carcasses des voitures de la casse en attendant la petite musique qui annoncera l’arrivée du marchand de glaces. 

Mais un jour, un violent accident vient faire bégayer le présent. Et rien ne sera plus jamais comme avant.

LE hit de la rentrée littéraire, the book to read. Le bouquin qui collectionne les petits cartons "coup de cœur" des libraires. Je ne sais vous mais j'ai toujours un élan de trouver suspect cette douce unanimité. 

C'est complètement con parce que c'est très très bien cette VRAIE VIE.

Un premier roman vibrant d'émotion, écrit à hauteur d'adolescente frémissante.  LA VRAIE VIE c'est d'abord cela : une héroïne épatante d'intelligence. La narratrice dont on ne connaîtra jamais le prénom, se débat dans une famille qui a poussé le dysfonctionnel au firmament le plus obscur. Un livre qui est d'un glauque terrible si l'on ne retient que les péripéties, le déroulé narratif. 

Et c'est précisément là que se noue la magie de la plume de Adeline Dieudonné qui par un ton empathique et subtilement distancié, dans un cocktail contradictoire difficilement tenable mais tenu jusqu'au bout, fait basculer son oeuvre dans le registre du conte. 

C'est sombre le conte mais joliment présenté. 

LA VRAIE VIE est d'une noirceur sordide mais l'écriture est belle. La plume de Adeline Dieudonné fait tout glisser : la terreur distillée par un père tyrannique, complètement branque (le montre c'est lui) ; le grignotage de la douce âme du petit frère aimé par la vermine sournoise ; l'indifférence apeurée d'une mère dépassée, anesthésiée par une peur omnipotente...

Déroulant un suspense haletant, malsain, on tremble, on s'indigne mais on ne perd jamais espoir, cette gamine est trop intelligente, trop dure et forte pour ne pas s'en sortir (la merveille c'est elle). Sacrée personnage que cette fillette surdouée, adepte de physique quantique, sensuelle et enfantine, pas si simple de l'incarner. Mais là encore, la plume...

Premier roman et coup de maître. Prix du livre Fnac et ce n'est que le début, je le pressens, sans que cela soit scandaleux. 

On peut tirer deux conclusions à la fin de ce post : elle a bien fait, Adeline, de ne pas ouvrir ce tiroir et on doit toujours faire confiance aux libraires.

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