dimanche 7 octobre 2018


"Le chien se posta en dehors de la cage, haletant et tendu, il jeta un œil à Franck qui finissait de descendre, attendant un ordre. Mais lequel devait le donner à l’autre, Franck ou le chien ? Lequel des deux devait prendre le dessus, la part du loup en l’homme, ou la part de l’homme en ce chien ?"


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Grußworte les aminches,

Il est toujours savoureux qu'un écrivain ressemble à son oeuvre. Physiquement.



Serge Joncour est grand, charpenté. Je l'ai vu dernièrement, dans l'une de ses rares interventions promotionnelles. On ne sentait pas une aisance souple de l'habitué du Talk show grimaçant ou complaisant. Un brin rugueux, éminemment sympathique, authentique. Un peu à l'image de l'Ecole de Brive, courant littéraire du roman du terroir, gentiment méprisé par l'intelligentsia parisienne, dont Serge Joncour n'est pas un tenant mais à laquelle son dernier roman fait songer. 

Dernier roman qui, malgré ses qualités qui sautent aux prunelles, n'a été sélectionné dans aucune pré-liste des prix littéraires qui vont jalonner cet hiver qui s'annonce. Ce qui me fait dire que ces prix littéraires, c'est vraiment de la rouille...

L’idée de passer tout l’été coupés du monde angoissait Franck mais enchantait Lise, alors Franck avait accepté, un peu à contrecœur et beaucoup par amour, de louer dans le Lot cette maison absente de toutes les cartes et privée de tout réseau. 

L’annonce parlait d’un gîte perdu au milieu des collines, de calme et de paix. Mais pas du passé sanglant de cette maison que personne n’habitait plus et qui avait abrité un dompteur allemand et ses fauves pendant la Première Guerre mondiale. 

Et pas non plus de ce chien sans collier, chien ou loup, qui s’était imposé au couple dès le premier soir et qui semblait chercher un maître.

En arrivant cet été-là, Franck croyait encore que la nature, qu’on avait apprivoisée aussi bien qu’un animal de compagnie, n’avait plus rien de sauvage ; il pensait que les guerres du passé, où les hommes s’entretuaient, avaient cédé la place à des guerres plus insidieuses, moins meurtrières. Ça, c’était en arrivant.

Serge Joncour délaisse ici les intrigues emberlificotées du roman urbain pour une intrigue plus linéaire, plus sage disent certains, ce dont je ne suis pas certain. 

Adoptant un parti pris romanesque audacieux, à savoir mêler les époques, Joncour affirme que le nature writing cher à Jim Harrison, Henry Thoreau, Jack London etc. n'est pas l'apanage des auteurs anglo-saxons. 

CHIEN-LOUP propose deux pans narratifs aux temporalités éloignées. Le devenir d'un village des Causses en 1914 alors que la grande boucherie vient de débuter son étripage de masse et celui d'un couple, une actrice inactive Lise et son mari Franck, producteur de cinéma hyper stressé et connecté. Ce couple qui vient de louer un gîte perdu au fond des causses du Quercy, loin de tout, de la wifi, des antennes relais, un endroit où on ne capte... RIEN.

Ce procédé qui pourrait s'avérer artificiel va se révéler payant car il entremêle judicieusement les tenants et les aboutissants. Le style précis, épatant, de Serge Joncour s'affine habilement quand il passe d'un siècle à l'autre. Une mise en couleur pastel réaliste et empathique de la vie paysanne des années 1900, zébrée de réflexions acerbes sur la folie des hommes, leur courte vue, leurs peurs superstitieuses. 

Ce n'est pas mieux en 2017. Les portables ont remplacé les dictons des anciens. Le sevrage de Franck, qui voit les barres de réseau de son mobile disparaître, a quelque chose d'hilarant, de méchamment jouissif. Sa compagne n'est guère plus aimable, égoïste et inconsciente (on ne part pas en randonnée en tong et sans carte !). 

Et toujours, de tous temps, la nature. Sauvage. Ni bénéfique, ni maléfique, elle se contente d'être là. A l'image du chien-loup du titre qui apparaît, subitement, sans explications, qui se contente d'être là. Au début.

Franck a peur. Au début.

La peur traverse ce roman. La peur de l'autre. Le dompteur allemand en 1914, le boche, bouc émissaire rêvé. La peur des nouveaux associés de Franck, plus vifs, plus adaptables, plus compatibles. Eux qui veulent vendre le catalogue de la boite de prod' de Franck à l'ogre Netflix.

Serge Joncour a bien compris que les prédateurs ultimes sont les GAFA, ce sont bien eux qui se repaîtront des restes. 

Un livre auquel on ne peut pas reprocher grand chose,  peut-être une fin un poil expédiée mais qui se révèle subtilement et joyeusement amorale : la civilisation, la technologie ne sont que vernis à ongles peint sur des serres griffues.

Formidable roman.

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