jeudi 20 septembre 2018


"Les gens n’ont rien contre les juifs mais ils n’aiment pas être avec eux, ils ignorent ce qu’il faut dire ou ne surtout pas dire, ils sont comme des cons et c’est ça qu’ils n’aiment pas : être comme des cons. Moi les juifs je m’en fous, comme je me fous des Japonais. Ils ont des mœurs et des fringues pourries, ils mangent bizarrement, mais à part ça, ça va. Ils servent à rien, quoi, c’est tout. De toute façon, c’est pas mon vrai problème. Mon vrai problème c’est que j’ai une tête d’Arabe, surtout ce qu’il y a dedans. C’est parce que j’ai grandi avec eux. Je viens de la cité des Buers, tout le monde connaît à Lyon. Ça craint, les Buers. J’ai tellement traîné avec les Arabes depuis toujours que je les connais par cœur, je suis comme eux, j’aime pas trop le porc et ça m’est même arrivé de faire le ramadan pour faire comme les potes. Je parle comme eux, je pense comme eux, j’ai une calvitie à la Zidane et comme eux je n’ai pas une très haute idée des femmes. Pour résumer, depuis que je suis gosse, on m’appelle soit le Juif, soit le Rebeu blanc."

***

Bien le bonjour les aminches.

Alors ? Toujours Charlie ? Pas si facile comme réponse pas vrai... Outre que le journal a été contaminé par un esprit de sérieux un poil pesant  l'époque a changé. On est dans l'après Charlie. On est Charlie par intermittence en quelque sorte. 

Et si on lisait un livre qui nous raconterait cet après Charlie, ce climat un peu pourri, anxiogène, sans qu'on soit obligé de se fader un essai moisi de Emmanuel Todd, qui masque, par des calculs statistiques dévoyés, un profil réac bien senti. 

Non, tant qu'à faire, autant se marrer : 

François Feldman, est originaire de la cité des Buers à Lyon, plus tout à fait un gars des quartiers mais n’ayant jamais réussi non plus à se faire adopter des Lyonnais de souche, dont il ne partage ni les valeurs ni le compte épargne. Il est entre deux mondes, et ça le rend philosophe. 

Juliane, elle, c’est sa banquière. BCBG, rigide et totalement dénuée de sens de l’humour, lassée de renflouer le compte de François à coups de prêt. 

Mais le rapport de force va s’inverser quand, un soir, François lui sauve la mise, un peu malgré lui, suite à un terrible accident. Et la banquière coincée flanquée du faux rebeu des cités de se retrouver dans une improbable cavale, à fuir à la fois la police et un caïd de banlieue qui a posé un contrat sur leurs têtes. Pour survivre, ils vont devoir laisser leurs préjugés au bord de la route, faire front commun. Et c’est loin d’être gagné.

François Feldman (aucun lien de parenté est-il précisé) a un commerce a faire tourner. Une boite de tee shirts imprimés. Son petit truc est qu'il invente des phrases soi-disant prononcées par des personnages connus. Mais quand il rencontre sa conseillère bancaire pour obtenir un prêt supplémentaire, il choisit le mauvais exemple : 

"C'est bien ici Charlie Heddo ?"
Les frères Kouachi.

Pour Juliane, la conseillère, ça ne passe pas. Et vous ? Moi, je me dis qu'un dessinateur de Charlie de la grande époque aurait pu croquer cette sentence dans un dessin, c'est un exemple typique d'humour bête et méchant à la sauce Hara kiri. Je me vois mal porter le tee shirt en revanche. Feldman explique que dans les cités, les fameux "quartiers", ça va cartonner. Au premier degré, ça va cartonner.

Le rire se grince... Un poil, non ?

DEMAIN C'EST LOIN confirme, s'il en est, que le rire est multiple. Il est ici franc mais aussi un peu honteux de l'être. Quand le héros se présente : «J’avais un nom de juif et une tête d’Arabe mais en fait j’étais normal», on se dit qu'on a entre les mains un court bouquin cinglant qui va nager dans des eaux qui ne sont pas celles du fleuve tranquille. 

On va rebondir ainsi du rire explosif à "roh... Quand même, mec...". On va le faire tout le long de ce court roman.

Puis, les archétypes vont s'affiner, les frontières se brouiller, et finalement, si on s'est bien poilé, ce court bouquin s'avère plus profond qu'il n'y paraît. Il délivre un constat plutôt fin sur le mal français de ses banlieues ghettoisées jusqu'aux plus obscures coursives, abandonnées à une islamisation rampante :

"L'islam ne s'est pas radicalisé, c'est la radicalité qui s'est islamisée."

Ni angélisme, ni vision apocalyptique d'un grand remplacement fantasmé, DEMAIN C'EST LOIN tient une note fragile, qui semble parfois tendre vers la dissonance sans jamais y verser.

L'intrigue, sans être totalement bâclée, n'est pas ce qui nous fait tourner les pages mais bien ce vent de fraîcheur, ce politiquement incorrect qui n'est pas, pour une (très) rare fois, le paravent d'une inhumanité rance.

Rien (mais pas) que pour ça...

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