dimanche 24 juin 2018


"C'est ainsi que la folie du monde essaie de vous coloniser : de l'extérieur, en vous forçant à vivre dans sa réalité."

***

Salutations les aminches.

Tombera ? Tombera pas ?

Léo est-il revenu à la réalité ou bien est-il coincé dans un rêve, à la fin d'INCEPTION ?

A ma connaissance, Christopher Nolan, le réal, n'a jamais répondu à la question. Soit il le sait et a sciemment opté pour une fin ouverte, plus efficace. Soit (et c'est ma préférée) il n'en sait rien, tout simplement...

Dans tous les cas, une fin ouverte nécessite un talent particulier, une cohérence singulière. Car finir en coude peut s'apparenter à une frustration facile, on peut se sentir spolié d'un dénouement qui récompense une ténacité à aller au bout.



La Zone X, mystérieuse, mortelle. 

Et en expansion. 

Onze expéditions soldées par des suicides, meurtres, cancers foudroyants et troubles mentaux. 

Douzième expédition. Quatre femmes. Quatre scientifiques seules dans une nature sauvage. 

Leur but : ne pas se laisser contaminer, survivre et cartographier la Zone X.




Comment évaluer ce livre ? Apparemment, il est une sacrée réussite et instille une sacrée dose d'étrangeté, d'angoisse. et puis...

Jeff Vandermeer prend le pari de déshumaniser ses personnages. Les quatre membres de l'expédition n'ont pas de noms et sont réduites à leur fonction : anthropologue, psychologue, biologiste et géomètre. Le danger est que l'on empathise peu (c'est un euphémisme) avec les personnages. On assiste, détaché, avec la froideur d'un entomologiste observant les fourmis paniquer après un vigoureux coup de pied dans la fourmilière, aux atermoiements et péripéties mortelles qui vont frapper les protagonistes. 

Ce parti pris est intéressant en cela qu'il s'accorde parfaitement au climax de bizarrerie poisseuse, d'incongruité dangereuse qui transpire des pages de ce court roman. Mais il éloigne les personnages, qui interagissent peu, qui semblent robotisés et finalement, cela se retourne un peu contre cette sensation de peur sourde que l'on devrait ressentir. 

C'est un peu le syndrome SOLDAT RYAN / LA LIGNE ROUGE. 

Je m'explique. 

Face à la peur, le danger, est-on plutôt Spielberg et son brut de pellicule, à fleur de peau, hébété ou en total panique ? Ou bien le conceptuel un brin artificiel de Malick qui sentence des répliques de poussins et de la beauté de Dame Nature en cathédrale quand les obus tombent et que tu te chies dessus ?

Je pense que vous vous doutez de ma préférence. Je lis ANNIHILATION comme un essai de littérature presque expérimentale, un trip Lovecraftien modernisé (référence obligée). Je ne ressens pas, je ne m'investis pas.  

Ce détachement analytique se poursuit et même s'approfondit dans le deuxième tome. 


Cela fait maintenant trente années que l’on tente de percer les mystères de la Zone X, ceinturée par une frontière invisible, où tout signe de civilisation a disparu. 

Douze expéditions, toutes tragiquement inutiles, ont été supervisées par un organisme gouvernemental tellement secret qu’il en est quasi oublié : le Rempart Sud.

Fraîchement nommé à sa tête, John Rodriguez, dit Control, hérite d’une équipe méfiante et désespérée, d’une masse de questions, de notes secrètes et d’heures d’enregistrement étrangement anxiogènes. 

Dans Autorité, les questions d’Annihilation trouvent des réponses. Loin d’être rassurantes…

Loin d'être nombreuses les réponses surtout, et pas franchement explicites. 

Vandermeer propose un autre point de vue.  Face à cette Zone X, anomalie mutante d'une écologie mutagène et sournoise, que tentons-nous de faire ? Ce n'est pas très glorieux. 

Le plus faible des trois tomes. Desservi par un style ampoulé, quasi abscons par moment. Le temps que tu finisses la phrase, tu ne te souviens plus du début. J'ai même relu quelques passages pour comprendre de qui on parlait, ce que l'auteur voulait dire.

Si l'on était peu en empathie avec la biologiste, héroïne de ANNIHILATION, elle est carrément notre meilleure pote à côté de Control et autres personnages qui se heurtent les uns les autres dans ce deuxième tome, sans se parler réellement, sans se comprendre, sans même essayer.

Bien sûr, je suppose que Vandermeer veut souligner l'aliénation bureaucratique, le pourrissement provoqué par la corruption de la Zone X toute proche. Je me suis surtout pris à penser que Vandermeer n'est pas tout à fait John Le Carré, autre adepte des circonvolutions rhétoriques, de phrases longues et sinueuses mais d'un tout autre niveau. 

On saisit ce que Vandermeer veut nous faire appréhender : l'aura d'incompréhension totale de simples mortels en face de ce qui les dépasse. Notre frayeur face à une Nature qui ne se laisse plus domestiquer. C'est là l'une des réussites de cette trilogie : cette nature grouillante, virginale et guère accommodante. La revanche de Gaïa en quelque sorte, une revanche éclatante.

Sinon... On se surprend surtout à bailler quelque peu et se tapoter la flûte de ce que vont devenir Control et les autres, aussi sympas qu'un code pénal, autant incarnés qu'un contrôle fiscal.



Une dernière équipe tente le tout pour le tout et traverse la frontière, déterminée à atteindre une île reculée qui pourrait apporter des réponses. Un échec mettrait le monde en péril.

Acceptation creuse les circonstances entourant la création de la Zone X. Qui se trouve à l’origine de ce bouleversement ? Quelqu’un a-t-il déjà approché la vérité sur la Zone ? Ou été corrompu par elle ?

Dans ce dernier livre crépusculaire et mélancolique de la trilogie du Rempart Sud, les mystères sont résolus mais la terreur monte.



La terreur je ne sais pas. L'exaspération, quelque peu... Très peu de questions seront résolues de fait, et les réponses ressemblent plus à des esquisses de résolutions qu'à de franches explications. 

Néanmoins, ACCEPTATION est plus abouti, plus rythmé. Le récit choral, la multiplication des points de vue permet une tension et un tempo plus soutenus. Avec l’insertion d'un beau personnage, Saul le gardien de phare. Enfin un personnage qui nous fait ressentir une humanité, une banalité, enfin un personnage qui ne ressemble pas à un super calculateur sur jambes.  

ACCEPTATION porte bien son titre. Il faut accepter. Accepter que nous ne pouvons tout connaître, tout savoir. Posséder tous les tenants, les aboutissants : ce sera pour un prochain livre. On peux légitimement en éprouver une légère frustration ou bien s'en accommoder. 

Après tout, je suis presque certain que Jeff Vandermeer n'en sait pas plus que nous. 

La toupie peut continuer de tourner...

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