vendredi 10 novembre 2017


"Si l’Arche est ce qu’elle est, cette Porte de Paris si puissante et si singulière, c’est que Spreckelsen [l’architecte] était inexpérimenté, déraisonnable, non conforme et d’une folle présomption. Les concours ouverts créaient des appels d’air, des appels de neuf, de risque. Ils donnaient une chance à Icare."
***

Hilsener les aminches. 

Est-ce-que c'était mieux avant ?

Ah la fascination pour les Lumières, tailler sa route dans la cour du Roi Soleil, humer l'odeur du crottin du Paris napoléonien... Hum... On en reparle quand on a besoin d'un dentiste ? 

Aucune nécessité de remonter si loin, cela dit... Les Années 80 qui semblent le Graal temporel, la nostalgie bon enfant à coup de Pac man, Atari et synthé/boite à rythme pour musique à neuneu.

Hum...

Mais la présidence de la république. Là oui ! Open bar pour la mégalomanie débridée. Laisser sa marque dans l'histoire, via le marbre.



Voici l’épopée de cette Arche superbe, enjeu de luttes politiques au couteau sous le règne de François Mitterrand. 

C’est aussi le portrait de son créateur, Johan Otto von Spreckelsen, architecte secret, professeur aux Beaux-Arts de Copenhague. 

Lauréat inattendu d'un grand concours international en 1983, ce Danois découvrit avec stupéfaction la désinvolture et les revirements à la française.






François Mitterrand vient d'être élu monarque et s'installe à l'Elysée. Il se rêve en bâtisseur. Il se fout royalement de l'impact budgétaire d'un projet architectural pharaonique. Foin des agences de notation, des bilans comptables, la cour des comptes on l'emmerde bien gentiment. 

C'est pas grave hein... On fera des économies plus tard. 

Le quartier de la Défense, son terrain pile dans l'axe de l'Arc de Triomphe est vide. Mitterrand relance ce serpent de mer et un concours international est organisé. 

Concours remporté par Johan Otto von Spreckelsen.


L'arche de la Défense est née. Spreckelsen préférait le nom de Cube. Rien que sur le nom, ça commençait à merder.

Selon une légende presque universelle, on ne peut pas construire un monument si un être humain n’est pas sacrifié. Sinon, le bâtiment s'écroule aussi longtemps qu’on essaye de le remonter. L’histoire de la Grande Arche de la Défense est la version la plus récente de cette légende.

Spreckelsen va finir brisé, vaincu, amer de cette épopée. 

Laurence Cosse nous conte les dessous de cette odyssée architecturale. 

Un architecte drapé dans sa quête du trait épuré sans tenir compte de la faisabilité du projet, ne se pliant pas aux contingences et l'habilité élémentaire du monument. 

Des maîtres d’œuvres prenant de haut ce Danois qui a eu le front de gagner à la barbe des barbons de la place. 

Les politiques qui utilisent les deniers publics et l'avenir architectural de la Défense comme monnaie d'échange et intimidation de grands fauves se disputant une gazelle famélique. 

C'est peu dire que l'incompréhension est grande entre un Danois habitué à la parole donnée (on vend une maison en topant là au Danemark, les notaires n'existent pas. LES-NOTAIRES-N'EXISTENT-PAS).

"Nous avons du mal à le croire, nous autres Français qui nous voyons rationalistes, organisés et pour tout dire très intelligents, mais aux yeux de beaucoup de nos voisins nous sommes des passionnels, des idéologues, des phraseurs, des agités, des individualistes, enfin des gens peu sûrs."

D'une plume acérée, aérienne et poétique, Laurence Cossé fait revivre ce chemin de croix à l'envers d'un génie de l'esquisse qui ne peut se résoudre aux multiples compromis inhérents à ces chantiers extravagants. 

"Le Christ a vécu la croix, puis la gloire. Spreckelsen, à l’inverse, a connu la gloire avant de parcourir son espèce de chemin de croix. Son désir d’absolu a été porté à un tel degré de violence qu’il en est devenu négatif. Plutôt rien que l’inscription de l’esprit dans l’imperfection de la réalité. Plutôt abandonner que cautionner l’altération de l’œuvre de l’esprit. Plutôt mourir."

Beau livre, un peu douloureux. Laurence Cossé appose Roman sur la couverture pour se prémunir contre les attaques que sa plume fantasque, ses libertés et réinterprétions littéraires pourraient provoquer. Je suis prêt à parier, néanmoins, que l'on ne doit pas être loin de la vérité nue. 

Spreckelsen va se retrouver au milieu d'un marigot économico-politico-financier qui le dépasse. Il va en payer le prix, subissant une pression et un mépris condescendant en basse tension mais constant. 

Et tout le monde flippe. 

"Spreckelsen est inquiet : ces Français se fichent bien de la belle ouvrage. Belmont et Andreu-Chevallier sont inquiets : les retards sont terribles, il faut cravacher. Le maître d'ouvrage est inquiet : les clients ne se bousculent pas ; le Carrefour ne ressemble toujours à rien. Dauge est inquiet : Mitterrand le fait venir tous les trois mois pour lui dire : J'ai vu Monsieur Spreckelsen, il est malheureux. Les socialistes sont inquiets : le vent a tourné, la crise économique est rude, nous allons être obligés de compter ; ce n'est pas pour cela que nous avons été élus. Mitterrand est inquiet : les élections de 86 se présentent mal."

Née du fait du Prince, elle sera construite cette foutue Arche mais elle sera vidée de son sens. Vide tout court d'ailleurs. Elle a servi un temps de pompe à fric pour la Françafrique. De projets foireux en institut moisie, elle traîne désormais sa déshérence. 

C'est dommage. Je suis assez vieux pour avoir pu accéder au belvédère et le point de vue sur Paris était incomparable mais comme on n'avait pas prévu assez de place dans les ascenseurs pour évacuer les visiteurs suffisamment rapidement... L'accès au toit a été définitivement fermé.

"Ce bâtiment est maudit. On a engendré un monstre. C'est un monument d'une sérénité absolue mais il est resté marqué par son enfantement terrible. Il a été laissé en déshérence. "


Il en avait de la gueule, pourtant, ce Cube...

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