vendredi 6 octobre 2017


"En fait, une curieuse prémonition m'avait amené à penser, quelque part dans un coin de mon esprit, que la mort de mes deux parents était liée à celle des Kennedy. Cette prémonition, que l'on pourrait tout aussi bien considérer comme une illumination, datait de mon adolescence, et c'est elle qui m'avait orienté vers des études d'histoire contemporaine où je m'étais spécialisé dans "la passion Kennedy", titre de mes travaux. "Passion" s'entendait comme le martyre des deux frères."

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Salutations les aminches.

la prochaine fois que l'on me reprochera mon manque d'ambitions (je n'ai pas cette qualité ou ce défaut, c'est selon), professionnelles surtout, je rétorquerai "Ah oui? Et les Kennedy ?".

C'est vrai, quand on y songe : 

- Le premier de la lignée, Joseph Kenney Jr, poussé par son pôpa, élevé au grain pour la Présidence. Bam ! Explosé dans son avion en 1944 au dessus de l'Angleterre.

- Le deuxième, The JFK, président en exercice, assassiné avec une balle magique qui se fraie un chemin dans son corps tel un mulot dans un labyrinthe. La balle magique. Puisqu'on vous dit qu'il n'y eut qu'un seul tireur...

- Le troisième, Robert, favori pour la présidentielle de 1968, au programme très à gauche pour les Staaates. Bim ! Une balle dans le buffet, avec plus de projectiles retrouvés que ne pouvait en contenir le barillet de l'assassin officiel. Après la balle, c'est le flingue qui est magique.

L'ambition c'est très surfait. C'est même dangereux.



Un professeur d’histoire contemporaine de l’université de Colombie-Britannique est persuadé que la mort successive de ses deux parents en 1967 et 1968 est liée à l’assassinat de Robert Kennedy. 

Le roman déroule en parallèle l’enquête sur son père, psychiatre renommé, spécialiste de l’hypnose, qui a quitté précipitamment la France avec sa mère à la fin des années quarante pour rejoindre le Canada et le parcours de Robert Kennedy. 

Celui-ci s’enfonce dans la dépression après l’assassinat de son frère John, avant de se décider à reprendre le flambeau familial pour l’élection présidentielle de 1968, sachant que cela le conduit à une mort inévitable.

Et pourtant, d'ambition, Marc Dugain n'en manque pas.

J'aime beaucoup Marc Dugain. S'il ne m'avait pas tout à fait convaincu avec sa trilogie de L'EMPRISE, il revient à ce qu'il sait faire de mieux, marier la petite et la grande histoire. 

Déjà dans LA MALÉDICTION D'EDGAR, biographie romancée et documentée de Hoover, tout puissant patron du FBI, il se glissait dans la tête de J. Edgar. Il récidive ici en imaginant les tourments, les doutes et les failles de Robert Kennedy. 

Très belle idée. On tutoie la tragédie grecque. Sophocle au Kansas. Robert Kennedy sait qu'il va mourir, il ne dévie pas de son destin et marche à sa rencontre. Pétri de culpabilité de par sa fortune et ses privilèges, profondément catholique (11 enfants quand même !) tendance catho soc', Bob Kennedy ne s'aime pas et se complaît dans un masochisme triste.

"... et il s'en veut de son incapacité à se réjouir, de n'être motivé que par ses colères, de ne trouver de sérénité en rien, de jouer les héros de l'inutile en escaladant des montagnes hors d'atteinte ou en descendant des rapides interdits, de vivre comme ces adolescents insatisfaits que rien ne contente et qui gardent sur le visage la rancune de tout avoir eu trop vite. Le sens de l'existence lui fait profondément défaut."

Robert Kennedy est à un souffle de la maison blanche avec un programme radical pour les USA et ça... Ce n'est tout bonnement pas possible. 

Le système [la CIA, la Mafia, les anticastristes, Johnson, les Texans, l'armée, même s'ils ne sont pas les commanditaires directs. Sans oublier l'industrie militaire, inquiète de la volonté de Kennedy de sortir du conflit vietnamien] a donc tué Robert Kennedy.

C'est en tout cas la thèse de Mark, le narrateur qui est persuadé que la mort de ses parents est connectée à celle de Robert Kennedy. 

Difficile de démêler ce qui relève d'une conviction profonde de Dugain et de celle de son personnage mais le livre y va direct, Sirhan Sirhan, jeune palestinien paumé, meurtrier de Kennedy a été manipulé (tout comme Oswald) et il y a eu plusieurs tireurs, donc conspiration.

Il faut bien avouer que certains faits (avérés) sont plus que troublants. L'un de mes préférés, ce sont les chambranles et portes qui ont été emporté de la scène de crime car ils contenaient des projectiles d'un calibre possiblement différent de l'arme de Sirhan Sirhan. Quand lors du procès, il est réclamé le production de ces preuves, le LAPD (police de Los Angeles) rétorque que c'est impossible. On les a brûlés. On manquait de place dans les entrepôts. 

Véridique. 

Sans déconner... 

Le faisceau de présomptions est à spectre large. 

Ce très bon livre déploie deux histoires en parallèle, la quête toute personnelle du narrateur Mark, qui retrace le parcours de son père et le fatum de Robert Kennedy qui ne peut se dérober à la tragédie familiale. 

Comme d'habitude, Dugain s'appuie sur un style distancié, froid, qui ne se prête pas à l'empathie. Il est même parfois un brin abscons : 

"Ce pays qui se plaît à laisser penser que la foi et les valeurs morales le dirigent ne reconnaît principalement que l'intérêt comme ciment d'une communauté prompte à s'organiser et à se libérer de tout scrupule quand il s'agit de le défendre."

Le plus souvent il touche juste, une pertinence lucide et désabusée

"La popularité n’est pas suffisante pour l’emporter en démocratie. Il faut percer la couche des notables, des maires, des gouverneurs, des leaders syndicaux. Tous ont un prix qui va de la fourbe considération à la corruption en passant par les honneurs. "

Et se permet quelques fantaisies, toute relatives.

"Elle m'a demandé si je croyais en Dieu et je lui ai répondu que je n'étais pas en situation de me passer d'un allié."

Les ouvrages disséquant le mythe Kennedy sont légion, le plus souvent à charge et axé sur un JFK queutard compulsif. Dugain privilégie son petit frère, la véritable bête noire de Hoover, CIA, mafia (qui a fortement contribué à l’élection de JFK en achetant les votes) etc. 

Allez, on peut bien le dire, on frôle parfois le panégyrique. Dugain nous montre un Robert Kennedy juste et bon. Je sais bien que comparaison n'est pas raison, mais si on l'évalue à l'aune de ses contemporains, adversaires et alliés, il s'en sort mieux c'est vrai. Du moins, on aimerait le croire.

Robert Kennedy était l’espoir d'une génération, lasse et horrifiée de la guerre du Vietnam. La mort de Bob a sonné le glas du flower power et Nixon s'est installé aux affaires.

Dugain embrasse un "âge d'or", un élan vite retombé, éteint par la drogue et les overdoses, dont on ressent les contrecoup culturels encore aujourd'hui.

"La contre-culture a compris très vite que ce mouvement, miné par la drogue et les bonnes intentions, qui vendait de l'amour à crédit, allait se fracasser sur la réalité, celle d'un monde poussé par la force irrésistible de l'appropriation. La dimension spirituelle de notre mouvement était empruntée à la brocante de l'esprit amérindien, à des philosophies d'Extrême-Orient qui, à l'usage, n'avaient pas eu de meilleur effet sur les instincts primaires des individus. De cette pause de quelques années dans la course à l'accumulation et à la prédation, il restera, pour ceux qui ont survécu au voyage psychédélique, une impressionnante créativité musicale, cinématographique et, surtout, une libération sans précédent de la condition féminine."

Toute une époque, dont on combat férocement les avancées aujourd'hui, dans un combat d'arrière garde.

En conclusion, les dernières pages du bouquin renferment un joli twist qui renverse la perspective et nous laisse un poil égaré, entre complot établi et théorie conspirationniste fumeuse. 

Mais bon...

Les théoriciens du complots sont comme les paranoïaques.

Ils leur arrivent, quelques fois, d'avoir raison.

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