mercredi 27 septembre 2017


" Peu de choses en ce monde plaçaient les gens sur un pied d'égalité, quel que soit leur niveau d'éducation, de richesse ou leur place dans la société, et le chagrin en faisait partie."
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Bien le bonjour les aminches.

L'histoire bégaie, c'est connu. 

Si l'on ignore le passé, on est condamné à la revivre comme dit loutre. 

Mouais...

Même en le connaissant intimement, dans tous les recoins... On le revit quand même.

Prenons la Grande Dépression, causé par le krach de 1929 où des spéculateurs avides ont mis à bas le Big Marché (dont la Main Invisible devait tripoter à autre chose...), provoquant de fait une armée de miséreux, d'où la photo iconique plus haut.

De nombreuses images nous viennent de suite aux synapses. La file interminable des chômeurs aux soupes populaires, le bidonville de Central Park, les financiers testant le saut à l’élastique sans élastique depuis les plus hauts étages des grattes ciels chromés etc.

Une ribambelle de clichés. Urbains pour la plupart. Mais la campagne a bien pris itou.

Et ce, bien avant 1929.


1917. Quelque part entre la Géorgie et l’Alabama. Le vieux Jewett, veuf et récemment exproprié de sa ferme, mène une existence de misère avec ses fils Cane, Cob et Chimney, à qui il promet le paradis en échange de leur labeur. 

À sa mort,  les trois frères enfourchent leurs chevaux, décidés à troquer leur condition d’ouvriers agricoles contre celle de braqueurs de banque. 

Mais rien ne se passe comme prévu et ils se retrouvent avec toute la région lancée à leurs trousses. Et si la belle vie à laquelle ils aspiraient tant se révélait pire que l’enfer auquel ils viennent d’échapper ?

Il y a les bons écrivains, les très bons, les grands. Et les autres.

Ceux qui comptent, qui importent. Donald Ray Pollock est de ceux là. Il s'agit, à mon humble avis, de l'un des plus importants écrivains américains de ce siècle. 

Que ce soit son recueil de nouvelles, KNOCKEMSTIFF ou son premier roman, LE DIABLE, TOUT LE TEMPS, Donald y manie une plume noire, désespérée, à la hauteur des loosers, des rednecks légèrement abruti sur les bords et pas mal au milieu, sans jamais les écraser d'une condescendance cote estisée (ou rive gauchisée, ça marche aussi). 

Pollock n'oublie pas d'où il vient. Lui qui a taffé dans une papeterie de la ceinture biblique etasunienne, états religieux de petits blancs hargneux et miséreux, voués aux gémonies, qui ont porté la moumoute orangée à la Maison Blanche.

Son dernier opus UNE MORT QUI EN VAUT LA PEINE, nous transporte dans une Amérique qui attend de se manger la plus grande crise financière du siècle et pour ceux qui en peuplent les pages, ça ne fera pas grande différence.

La Grande guerre prépare son linceul avant de traverser les océans.

"Peut-être qu’autrefois on pouvait s’en sortir avec ce genre de bravade, mais plus maintenant. Maintenant, il y avait des mitrailleuses qui tiraient trois cents balles à la minute, du gaz moutarde qui transformait vos poumons en mousse rose, et des généraux qui pensaient que la perte de quelques milliers d’hommes seulement pour gagner un mètre ou deux était synonyme de grande victoire. Il était bien possible, comme le prédisaient certains, que ce soit la dernière guerre jamais menée." 

Et la misère,  la vraie ! Celle qui vous encercle, qui ne vous laisse jamais en paix, celle qui se maintient par la grâce d'un système bien en place. Un système que l'on peut légitimement souhaiter voir s'effondrer comme une grosse merde.

"Selon Charles Foster Winthrop III, le monde était un endroit injuste, détestable, dominé par un club fermé de riches impitoyables et la seule façon pour un homme pauvre de s'élever au-dessus de sa condition était de mépriser les lois que cette même élite appliquait à tout le monde sauf à elle-même. Et d'après ce que Cane avait vu au cours de ses vingt-trois années d'existence ou, plutôt, de survie, comment ne pas être du même avis ?"

Roman choral par excellence, UNE MORT... est un livre picaresque, homérique, débordant de scènes saisissantes qui vous prennent à la gorge où qui vous extirpe un fou rire, noir le fou rire.

Comme toujours, Pollock appuie là où ça fait bobo, le racisme, la misogynie galopante, où les filles joie sont dune tristesse bouleversante, estimée par le maquignon local. 

"-Si une de ces putes dont tu parles vaut deux ou trois dollars, combien coûte un bon jambon à ton avis ?
-Oh, à peu près pareil, je pense. Y doit pas y avoir une grosse différence entre une pute et un jambon."

La différence, établie par des normes sociétales servies à point par le Nouveau Testament,  est toujours punie. 

"Et cette vérité, c’était que lui, Vincent Claremont Bovard, n’avait jamais éprouvé pour le corps d’une femme plus d’intérêt qu’une marmotte pour l’étude des subtilités de la conjugaison latine."

Il vaut mieux la cacher, quand on le peut, question de survie élémentaire. faire comme si...

Mais quand on est noir, un nègre....

"J'ai encore vu deux de ces nègres la nuit dernière, annonça Pearl en regardant par l'ouverture grossière qui faisait office d'unique fenêtre. Là-bas, assis dans le tulipier, à chanter leurs chansons. Et ça y allait ! "
D'après le propriétaire du terrain, le major Thaddeus Tardweller, les derniers locataires des lieux - une famille entière de mulâtres de Louisiane - avaient été décimés par la fièvre il y a plusieurs années de cela et ils étaient enterrés à l'arrière, parmi les mauvaises herbes, en bordure du périmètre de l'enclos à cochons aujourd'hui désert. La hantise que cet endroit où s'étaient mélangés Noirs et Blancs soit toujours contaminé était telle que le major n'avait pu convaincre personne de s'y installer jusqu'à l'arrivée du vieux et de ses fils l'automne précédent, affamés et en quête de travail."

Oscillant entre un tempo infernal et des pages plus méditatives, entre Faulkner et Harry Crews, Pollock compose un tableau à la Bosch, une pâle lueur éclairant les ténèbres, un monde en marche forcée vers la mécanisation où les plus candides finiront broyés.

UNE MORT QUI EN VAUT LA PEINE est un chef d'oeuvre, qui en vaut la peine ! Et bien au delà.

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