jeudi 5 janvier 2017


"Le Mexique, patrie des pyramides et des palais, des déserts et des jungles, des montagnes et des plages, des marchés et des jardins, des boulevards et des rues pavées, des immenses esplanades et des cours cachées, est devenu un gigantesque abattoir.
Et tout ça pour quoi ?
Pour que les Nord-Américains puissent se défoncer."

***

Saludos les aminches.

En ce début d'année 2017, laissez moi vous prodiguer mes bons vœux et nous souhaiter à tous non pas du bonheur, ou de la réussite mais de la sérénité. 

De la quiétude. 

Le zen qui feng shuite la face et nous laisse ronronnant de contentement intérieur.

En lisant le phénoménal CARTEL de Don Winslow, je me disais que les divers protagonistes de son épopée sanglante en manquait singulièrement...

De sérénité.

2004. Adan Barrera, incarnation romanesque d’El Chapo, ronge son frein dans une prison fédérale de Californie, tandis qu’Art Keller, l’ex-agent de la DEA qui a causé sa chute, veille sur les abeilles dans un monastère.

Quand Barrera s’échappe, reprend les affaires en main et met la tête de Keller à prix, la CIA et les Mexicains sortent l’Américain de sa retraite : lui seul connaît intimement le fugitif.

La guerre de la drogue reprend de plus belle entre les différentes organisations, brillamment orchestrée par Barrera qui tire toutes les ficelles : la police, l’armée et jusqu’aux plus hauts fonctionnaires mexicains sont à sa solde. 

Alors que la lutte pour le contrôle de tous les cartels fait rage, avec une violence inouïe, Art Keller s’emploie à abattre son ennemi de toujours.

Jusqu’où ira cette vendetta ?

Elle ira loin. Bien trop loin.

Jusqu'en 2005, Don Winslow délivrait des polars bien troussés mais à partir de cette date il bascula dans une autre catégorie. celle des Ellroy, des Chester Himes et autres Pete Dexter. Les maîtres du Noir que rien ne soulage.

LA GRIFFE DU CHIEN, récit choral, hypnotique, sarabandant le lecteur dans une furie documentée, maîtrisée de bout en bout et implacable sur le trafic de drogue qui ravagea le Mexique, en sapa les fondations et le pourrit jusqu'au moignon.

Oeuvre phare, poutre maîtresse de Winslow qui tenait là son DAHLIA NOIR perso, indépassable.

Puis 10 ans plus tard, il nous balance la suite, aussi sec et vivifiant qu'un rail de coco pur direct dans les naseaux.

Incroyable.

J'ai la particularité d'avoir enquillé les deux à la suite, sans intercaler une décennie entre les deux gifles. 

CARTEL se focalise sur la lutte à mort entre Art Keller flic de la de la DEA prêt à toutes les contorsions pour faire chuter le pape de la drogue, le Caponissimo, Le Corleone des Corleone, Adan Barrera.

Cette guerre (car c'en est une), se déroule sur plusieurs années et un pays finit à genoux, en cendres, le Mexique, ravagé de l'intérieur par les narcodollars et la corruption de ses élites. Pauvre pays.

"Et mon pays, le Mexique, patrie des écrivains et de poètes : Octavio Paz, Juan Rulfo, Carlos Fuentes, Elena Garro ..........
Aujourd'hui les "célébrités" sont des narcos, des tueurs psychopathes dont l'unique contribution à la culture sont des narcoccorridos chantées par des flagorneurs sans talents."

Sans omettre la condescendance quasi colonialiste de l'Oncle Sam, trop heureux de bénéficier à peu de frais d'une main d'oeuvre corvéable à merci, à un jet de pierre de sa frontière.


Terrain de jeu terrifiant des narcos qui se lancent dans une escalade d'une sauvagerie sans nom ! 

Juarez est la ville emblématique des meurtres gratuits, des démembrements et des tortures inventives. Open bar pour les sociopathes, à faire passer Hannibal Lecter pour un bougon légèrement acariâtre. 

CARTEL est l'illustration infernale d'une escalade. Escalade de l'abjection avec les Zetas. Milice privée qui finit par prendre la main sur le trafic et se taille à coup de machette un territoire. C'est bien simple les filles, j'ai renoncé à vous proposer des photos de ces Zetas, certaines images sont difficilement soutenables.

Commandos de la mort qui dézinguent, décapitent tout ce qui peut nuire à leur business. Et ils ont une conception de la nuisance très très étendue.

"Certains lieux sont habités par l’horreur, elle s'infiltre dans les murs, elle envahit l'atmosphère, et son odeur vous suit après votre départ, comme si elle voulait entrer par les pores de votre peau, jusque dans votre sang, votre cœur. 
Le mal à l'état pur. 
Le mal au-delà de tout espoir de rédemption."

Ce déferlement incessant d'une violence aveugle et inouïe  laisse les plus endurcis un brin médusés et fait les affaires de Barrera. On rejoint là le "syndrome Assad", tant qu'à faire des affaires, autant les mouliner avec celui qui porte une cravate.

CARTEL ne se résume pas, fort heureusement, à un inventaire détaillé des utilisations déviantes de scies sauteuses et jerrycans d'essence. 

Don Winslow gallérise quelques beaux personnages. 

De Pablo, journaliste bedonnant, pleutre mais si courageux finalement, croyant encore et toujours en sa ville Juarez et qui, lucide, livre l'analyse la plus juste de la guerre des cartels : 

"Vous êtes coupables de meurtres, vous êtes coupables de tortures, vous êtes coupables de viols, d'enlèvements, d'esclavagisme et d'oppression, mais surtout, j'affirme que vous êtes coupables d'indifférence. Vous ne voyez pas les gens que vous écrasez sous votre talon. Vous ne voyez pas leur souffrance, vous n'entendez pas leurs cris, ils sont sans voix et invisibles à vos yeux, ce sont les victimes de cette guerre que vous perpétuez pour demeurer au-dessus d'eux.
Ce n'est pas une guerre contre la drogue.
C'est une guerre contre les pauvres."

De Chuy cet enfant soldat, sicario adolescent, totalement détruit par l’embrigadement et la spirale de tueries dans laquelle il est englué.

Et surtout des femmes, de la garce à la sainte...

Et le Mexique enfin. Protéiforme, de sa capitale à Juarez, ville martyre, où l'on comptait le plus de morts quotidiennement sur la planète, on  peine à imaginer ce tombereau de tueries de masses, de corps en morceaux. 

Impensable. 

A frôler le burlesque nauséeux : 


"Dans le même communiqué de presse, les services de la mairie de Juàrez qui annoncent que quatre vingt quinze personnes ont été tuées au cours des deux premiers mois de 2008 se félicitent d'une baisse importante du nombre de personnes qui traversent en dehors des clous."

Un putain de grand livre. 

Le Guerre et Paix de la drogue disait Ellroy. 

La guerre je veux bien.

La paix..?

"Cette prétendue « guerre contre la drogue » est une porte à tambour : vous faites sortir un gars, quelqu’un d’autre s’assoit sur la chaise vide en bout de table. Cela ne changera jamais, tant qu’existera un appétit insatiable pour les drogues. Et cet appétit existe chez ce mastodonte qui vit de ce côté-ci de la frontière."

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