"Je me suis mis à écrire des livres dont beaucoup tournaient autour de la tentation des vies multiples. Nous sommes, chacun de nous, terriblement prisonniers de notre petite personne, cantonnés dans nos façons de penser et d'agir. Nous aimerions bien savoir ce que c'est d'être quelqu'un d'autre, moi en tout cas j'aimerais bien le savoir et, si je suis devenu écrivain, c'est en grande partie pour l'imaginer."
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Coucou les aminches.
il y a peu, je lisais dans le magazine Lire, les délices de lectures d'une personnalité, l'acteur Michel Blanc il me semble. Il livrait une analyse à laquelle je souscrit bien volontiers. En substance la littérature anglo-saxonne serait plus dans l'action et le romanesque que la française plus psychologisante et autocentrée.
Bon les filles. Je sais bien évidemment ce que ce genre de jugement définitif a de cliché et de dangereusement con. Il n'empêche, il s'agit d'un raccourci que j'emprunte plus souvent qu'à mon tour, il n'y a qu'à jeter un coup d’œil à ma bibli et compter les auteurs hexagonaux.
Alors, pourquoi, nom d'un couille velue ! Je classe...
... Emmanuel Carrère dans ma short list des écrivains majeurs ? Lui qui a fait de sa vie le pivot central de son oeuvre.
Son dernier opus...
... ne fait pas exception.
Cette compilation de ses préfaces, articles, lettres, conférences etc. retranscrit les obsessions de Carrère.
Philip K Dik par exemple qu'il dissèque intelligemment, malicieusement et amoureusement. Comparer K Dick à Dostoïevski peut sembler ridicule mais le parallèle est argumenté, solide et finalement pas si grotesque. Carrère a l'admiration généreuse, lucide le plus souvent et parfois...
La Russie est aussi l'une de ses marottes. Beaucoup de chroniques de son bouquin se rapporte à ce pays continent où Carrère séjourna pour son ROMAN RUSSE ou son LIMONOV (l'estime qu'il porte à Limonov est un peu problématique, l'a quand même l'air du bon faf à l'ancienne le Limonov) ; la Russie que manu tente d'englober dans sa phénoménale complexité, qu'il croque avec une tendresse non feinte :
"(En Russie, lors d'une cérémonie).
Car la grosse dame en robe longue ou le petit monsieur en costume étriqué qui se mettent à chanter une chanson, avec tout leur coeur, chantent vraiment une chanson, ... et la vérité c'est qu'ils chantent magnifiquement. Par contagion, même le petit discours de l'économe du réfectoire en arrive à me toucher profondément. En y repensant par la suite, je dirais qu'une des choses qui me touchent là-dedans, c'est l'absence d'humour. Nous vivons, en France, sous le règne de l'humour et du second degré obligatoires. Il n'est pas un échange qui n'y soit soumis. Même un type qui reçoit une décoration mettra dans ses remerciements un peu de dérision, un petit ton Canal +, pour bien montrer qu'il n'est pas dupe. Ici, dans ce morceau d'URSS congelé et peut-être de Russie éternelle, ça n'existe tout simplement pas : même la joie, on la prend au sérieux. Surtout la joie."
Mais la grande affaire de Emmanuel Carrère c'est Carrère Emmanuel. Sans excès de complaisance, Manu ne s'épargne pas dans ces diverses chroniques, portées par sa petite musique inimitable, sa plume précise et d'une grande clarté, accessible et sans simplisme.
Evidemment la limite de ce beau livre est qu'il peut sembler s'adresser aux fans du bonhomme, les chapitres renvoient à ses livres (L'ADVERSAIRE son SANG FROID à lui sur l'affaire Roman par exemple). Les ignorants de son oeuvre y prendraient-ils autant de plaisir ?
Certainement.
Toutes ces chroniques ne se valent pas. La série d'articles porno est un brin lourdasse et inutilement choque-le bon bourgeois. Le récit de l'interview ratée de Catherine Deneuve, on s'en cogne gentiment les roubignoles...
Hors ces petites erreurs de parcours, IL EST AVANTAGEUX D'AVOIR OU ALLER pétille d’intelligence, de finesse et de découverte et reste sincère. Une sincérité égocentrique, peut-être, quelques fois, mais réelle.
"J'étais sincère, évidemment, mais on peut être sincère et se tromper , ou en tout cas se persuader qu'on s'est trompé aussi sincèrement qu'on s'est persuadé du contraire."
A la fin de ce post, un souvenir de mon passé lycéen me revient. En cours de français où l'on étudiait MÉMOIRES D'OUTRE TOMBE de Chateaubriand. Chateaubriand qui relate son harangue aux sans culottes révolutionnaires, têtes coupées sur les fourches et du sang jusqu'aux coudes. Chateaubriand, avec sa bite et son couteau, fait face à une foule chauffée à blanc et la retourne par la seule force de sa rhétorique et son charisme.
Mais bien sûr...
Carrère n'est pas Chateaubriand.
Et c'est un compliment.
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