samedi 17 septembre 2016


"Papa disait toujours qu'il faut une sublime excuse pour écrire l'histoire de sa vie avec l'espoir d'être lu"

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Bien des choses les aminches.

Les auteurs américains ont une quête, enfin pour certain(e)s d'entre e(lles)ux : écrire le Grand Roman, le Grand Roman Américain. Certain(e)s y arrivent : Jim Harrison et sa DALVA, Margaret Atwood et sa SERVANTE ÉCARLATE, Kurt VonneguT JR et son ABATTOIR 5 etc...

D'autres s'en carrent surement le trognon. les Français(e)s courent après le Goncourt ou pas.

Il y en a néanmoins qui le frôle, ce grand roman définitif.


Bleue Van Meer serait une adolescente américaine tout à fait ordinaire. 

Sauf que, à cinq ans, elle perd sa mère dans un accident de voiture et que son père, un intellectuel exubérant et excentrique, la ballotte désormais d'une ville universitaire à l'autre, vers de nouvelles aventures, toujours sur la route. 


Ils vivent une relation fusionnelle, multiplient les joutes oratoires, se lancent dans des citations savantes, refont l'histoire de la littérature et de la physique quantique. 

Mais un jour, elle découvre le cadavre pendu d'Hannah Schneider, son professeur préféré.


J'ai déjà lu (et chroniqué) le phénoménal deuxième livre de Marisha Pessl INTÉRIEUR NUIT. Et je me disais en dévorant ce pavé goulu, 'tin ! ce n'est que son deuxième livre. 

Et bien à la lecture de son tout premier roman (publié, le troisième en fait): nom d'une bite en mousse, ce n'est que son premier livre !

LA PHYSIQUE DES CATASTROPHES est avant tout profondément américain. En ce sens qu'il baigne dans une mythologie Etats-Unienne. 

En premier lieu, le roman universitaire, grand classique de littérature américaine contemporaine, du MONDE SELON GARP de John Irving  au chef d'oeuvre LE MAÎTRE DES ILLUSIONS de Donna Tart. Si le bouquin de Marisha ne souffre pas tout à fait la comparaison avec ces prestigieux devanciers, il reste une réussite remarquable. 

De par ce style unique, cette petite musique qui se faisait déjà entendre dans INTÉRIEUR NUIT. Une plume d'abord légère, fine et drôle, les observations de Bleue valant toujours le faitout... 

"Je considère que nous devrions nous inspirer du plus grand mouvement américain de notre époque - une révolution en soi, qui lutte noblement contre le temps et la gravité, une révolution à qui l'on doit la forme de vie extraterrestre la plus répandue sur terre: la chirurgie esthétique."

... Puis, qui se fait plus grave au fur et à mesure des pages pour finir dans une amertume tragique.  

Bleue justement. Une ado surdouée, extrêmement cultivée et intelligente, qui réussit le tour de force prodigieux de ne pas être crispante. Loin des clichés des génie autiste et asociaux qui polluent nombres de fictions, Bleue van Meer est somme toute une ado mal dans sa peau, qui cherche à s'intégrer. Une ado quoi...

Dans l'ombre d'un père prodigieux, génial, sarcastique et beau comme un George Clooney mal rasé. 

La mise en place de ces deux personnages, leur arrivée dans cette petite ville universitaire où va se nouer le drame, est plaisante. Mais un brin longuette. Ce livre pèse ses 800 pages bien tassées et aurait peut-être gagné à être allégé.

Sinon quelle maîtrise, une psychologie fine et fouillée des protagonistes, la mystérieuse et ambiguë Hahha Schneider, prof d'un trentaine d'année qui traîne avec des adolescents, c'est louche ? Et bien en fait oui, finalement, un peu. 

Et ce groupe d'élèves qui compose sa cour : le Sang Bleu, groupe d'étudiants qui pourrait se révéler une galerie de clichés ambulants : la peste sexy, le tombeur joueur de foot etc. mais se révèle plus profond et déviant sous l'encre point trop sympathique de Marisha. 

Certes les défauts mineurs de Marisha, déjà constaté dans INTÉRIEUR NUIT, sont toujours là. La tendance à en faire trop, à trouver coûte que coûte le mot juste, la sentence qui claque, s'apparente parfois à une maestria un peu vaine. Cependant l'on retrouve aussi les gimmicks épatants de Marisha, les illustrations de Bleue parsemant le livre (illustrations dont on trouve un exemple au tout début de post) ou les références réelles ou imaginaires à des ouvrages savants censées affermir les propos de Bleue.

Mais basta ! on est vite emporté par le souffle, le brio et le sens du suspense de l'ensemble, ému par la symbiose étrange unissant ce père élitiste et sa fille bête de concours, vouée à la première place de la promotion : 

"-Papa?
-Oui?"
Sans savoir pourquoi, je fus tout à coup incapable de parler. 
"Ne me dis pas tu t'es fait tatouer "j'ai vécu l'enfer" sur la poitrine, dit-il. 
- Non. 
- Tu as un piercing? 
- Non.
- Tu veux entrer dans une secte. Une troupe d'intégristes qui pratique la polygamie et se fait appeler L'Angoisse du Mâle.
-Non.
- Tu es lesbienne et tu veux ma bénédiction avant de demander en mariage une coach de hockey sur gazon. 
- Non, papa 
- Dieu merci. Les amours saphiques, quoique aussi naturelles et anciennes que les océans, sont hélas toujours considérées par l'Amérique profonde comme une mode, au même titre que ces régimes à base de melon ou les tailleurs-pantalons. Tu ne te faciliterais pas la vie. M'avoir comme père n'est déjà pas un cadeau, il serait d'autant plus ardu de te charger d'un second fardeau.

- Papa, je t'aime."

Jusqu'au dénouement. 

Un dénouement d'une beauté rare et totalement inattendu. Une fin pas tout à fait fermée mais pas si ouverte que pouvait l'être celle de INTÉRIEUR NUIT. 

"Une histoire au dénouement vraiment poétique ne s'achève pas par des excuses, un pardon ou une enquête sur "ce qui a mal tourné" - l'option saint-Bernard, avec bave et paupières tombantes - mais tout simplement dans un silence digne."

Une porte entrebâillée sur un silence...

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