dimanche 17 juillet 2016


"Je suis le seul innocent parmi tous. Le seul. En écrivant ces mots, je comprends soudain le danger que cela représente, d'être innocent au milieu des coupables... C'est, en somme, très proche d'être seul coupable parmi les innocents."

***

Bien le bonjour les aminches, 

Autorisez moi une digression liminaire. 

Posant le court essai de Pierre Rabhi...  


Afficher l'image d'origine 

... Je me suis fait la réflexion qu'outre la tendance lourde de Rabhi à magnifier les traditions ancestrales des primo-communautés liées aux relations intuitives à la Nature Cosmique (sans ignorer totalement les aspects les plus abjects des coutumes millénaires mais sans insister non plus) et dénigrer les "pseudos" progrès d'une Modernité illusoire (n'occultant pas non plus les réelles avancées d'un progrès inéluctable  mais sans les souligner outre mesure) ; l'ouvrage de Pierre Rabhi baigne dans un positivisme acharné, une foi de charbonnier dans un rebond de l'humanité qui sera capable de contourner le Mur qui lui fait face voire le démanteler...

Cet optimisme "naïf" est tout à la fois la force et la limite du bouquin de Rabhi. Quoiqu'il en soit, on ne peut le nier.

Certaines œuvres, au contraire, ne font pas l'économie d'une noirceur inhérente à notre pauvre condition humaine. 

Quand l'on se penche face aux abîmes et qu'on ne sait plus trop qui contemple qui.



Brodeck, récemment libéré d'un camp de concentration, revient dans son village situé près de la frontière allemande. 

Un soir, il se retrouve par hasard à l’auberge où les habitants sont réunis après le meurtre collectif de l’Anderer (l'autre). 

Ils le chargent alors d’écrire un « rapport » sur l’Ereignies (l'Evènement) afin que « ceux qui [le] liront comprennent et pardonnent » leur geste.

Reprenant la trame du beau roman de Philippe Claudel, Manu Larcenet...


Afficher l'image d'origine

... livre un album sidérant.

Là où la plume de Claudel, précise et très travaillée, tend quelquefois à faire écran, à éloigner le lecteur (bien que cela soit beaucoup plus prégnant dans son roman précédent LES ÂMES GRISES), le trait de Manu, dans un blanc et noir crépusculaire et somptueux, magnifie l'intrigue, sublime le médiocre. 

Brodeck, rescapé des camps de concentration, revenu de l'enfer, en découvre un autre, de plus basse intensité, après les grandes orgues infernales, le murmure incessant du mesquin, de l'étriqué, du "il fallait bien survivre, s'adapter aux nouvelles lois du vainqueur"...

Éternelle ritournelle qui ne nous épargne pas une introspection lucide et finalement soulagé de se voir vivre en une période et latitude confortable.

Le Mal peut certes s'écrire en Majuscule, acmé démoniaque d'une période hors du commun...


Afficher l'image d'origine

Il peut également s'inscrire en pointillé, un mal quotidien et tout aussi ravageur...


Afficher l'image d'origine

Larcenet ne se contente pas de dessiner des planches saisissantes de beauté, cruelles et révélatrices. Il s'appuie aussi sur un texte précis et savamment tourné pour allier l'image et l'écrit au service d'une histoire universelle (déjà dans le phénoménal BLAST...) qui fait de l'Autre le révélateur de nos failles intimes et par la même le Bouc Émissaire éternel...

Insufflant un réel suspense, mythifiant une Nature virginale et sans compromission, instituant un monde sans Dieu...

"– A qui t’es-tu confié Brodeck ? A l’homme ou à ce qu’il reste du prêtre ?
– Peu importe…
– Au contraire ! si je te pose la question, c’est justement parce que ce n’est pas la même chose du tout. Je sais que tu ne crois plus en dieu, Brodeck, depuis ton retour de… du… Comme tu as été honnête avec moi, je vais faire de même… Moi non plus je n’y crois plus. Longtemps je lui ai parlé, j’ai suivi ses pas… Parfois même, il semblait me répondre, par des pensées, des gestes qui me venaient… Il m’inspirait. Puis tout s’est arrêté. Aujourd’hui, je sais. Nous sommes seuls, voilà tout. Si j’entretiens encore la boutique, c’est uniquement pour quelques vieilles âmes qui seraient encore bien plus seules si je laissais tomber le spectacle. Il y a pourtant un principe que je n’ai jamais renié. Le secret de la confession. C’est ma croix, et je la porterai jusqu’à la fin. Je sais tout Brodeck… tout. Et tu ne peux même pas imaginer ce que « tout » signifie. Les hommes sont plus pervers que les pires bêtes sauvages. Ils commettent le pire si facilement, puis sont incapables de vivre avec la vérité de leurs actes ! Leurs souvenirs, Brodeck, ceux cachés tout au fond, bien au chaud, ils ne mentent pas. Alors, ils viennent me voir parce qu’ils pensent que je peux les soulager, et ils me parlent, ils me disent tout. Je suis celui dans le cerveau duquel ils déversent toutes leurs sanies, leurs ordures, pour s’alléger…"

LE RAPPORT DE BRODECK est une BD magnifique et superbe qui nous rappelle que la fuite n'est pas nécessairement un acte de lâcheté et que les Murs à démanteler ne pas tous face à nous mais en nous même. 

Et ceux là...

Pour les mettre à terre...

2 commentaires :

  1. J'aime bien venir par ici, c'est comme aller à la bibliothèque... Tu arrives sans trop savoir ce que tu veux, ce que tu vas retrouver, puis tu repars les mains (ou la tête, ici), pleine d'idées, de références, de possibles. Forcément, ça me plait.

    RépondreSupprimer