mercredi 9 décembre 2015


Bonjour les aminches.

Continuant mon exploration de l'âme irlandaise, je chemine à travers sa littérature. Délaissant les verts pâturages, les charmants murets de vielles pierres délimitant les parcelles d'herbe grasse, les feux de tourbe brûlant dans l'âtre, les flammes jouant de ses reflets sur la mousse de notre pinte... 

Bref... Voyons un peu la lutte. Pardon. La Lutte. Renvoyer les Anglais colonisateurs chez eux, en plusieurs fois s'il le faut. 

Les troubles comme l'on disait. 

Le versant noir de la riante contrée.  


1980. Belfast. L'Irlande du nord et sa capitale, toujours au bord de l'émeute, n'est qu'à un hoquet de la guerre civile totale. Bobby Sands vient de mourir de sa grève de la faim, bientôt suivi par ses camarades. L'IRA est sur les dents, la haine à son paroxysme. 

C'est dans ce contexte tendu que le sergent Sean Duffy se voit chargé d'une affaire particulièrement sensible. Un homme est trouvé mort, la main droite tranchée. Une main droite est bien à ses pieds mais ce n'est pas la sienne.

Duffy va vite constater que le mort était un homosexuel reconnu et pense vite à un tueur en série dessoudant les homos. 

Mais à Belfast, plus qu'ailleurs, les apparences peuvent être trompeuses...

Quelle époque. Prends ça dans les ratiches Irlande éternelle. 'Tin Belfast en 1980 ! Une ville où les catholiques du cru et les protestants venus de l'Angleterre honnie se ramassent pour prendre de l'élan et se sauter à la gorge !

Sean Duffy, le héros de ce roman génial qu'est UNE TERRE SI FROIDE, est catholique et travaille pour la police de Belfast. Il est donc tout à la fois un collaborateur pour les catholiques tendance lutte armée et un traître potentiel pour les forces de l’ordre qui prennent leurs directives de Londres. 

Personnage ô combien attachant que ce Sean Duffy qui trouve une saine distance pour envisager le bourbier qu'est devenu son pays où les hommes (les femmes sont à la maison à torcher les gosses, repasser et autre saines taches ménagères) de chaque camps s'affrontent à grands coups de visions binaires, d'un manichéisme d'école, à grandes volées de slogans accompagnées de bombes remplies de clous et de vis, d'arrestations arbitraires et une injustice, une ségrégation institutionnalisée. 

Sean Duffy qui serpente entre l'IRA, guérilla insurrectionnelle qui n'oublie pas de vaquer à ses petites affaires et fait cracher une protection coûteuse aux commerçants du quartier et les autorités britanniques brutales, partiales, d'une incompétence grotesque, premières recruteuses de l'IRA.

UNE TERRE SI FROIDE est un instantané saisissant d'une ville en état de siège, coupée en deux et irréconciliable. 

Bobby Sands vient de calancher crécon ! 

Je suis allé à Belfats, bien après les événements décrits ici, thanks gogod. Belfast assumait peu à peu son hype branché, son côté festif mais une chose était encore très présente: les graph'. 

Les murs de Belfast c'est quelque chose, bariolés et témoins d'une violence quasi quotidienne, une tension omniprésente, sa lutte armée et ses martyrs. 

Et Bobby Sands, encore un peu partout. Saint Bobby Sands :


Bobby Sands, membre de l'IRA provisoire (une des quelques branches de l'IRA) et député à la chambre des Communes (si si). Il va entamer une grève de la faim pour combattre l’abrogation du statut spécial. Le 1er mars 1976, un décret du gouvernement travailliste de James Callaghan abroge le statut spécial d'incarcération, favorable, créé en 1972 pour les prisonniers républicains nord-irlandais. Tous les membres de l'IRA et autres groupes républicains internés au Maze perdent ce statut spécial, dit de prisonniers politiques et sont considérés comme des criminels et délinquants de droit commun.

Si z'avez le corps bien accroché, vous pouvez regarder le film HUNGER avec un phénoménal Michael Fassbender :



Au début de cette bande annonce, l'on voit un type vérifier sous sa voiture si elle ne serait pas plastiquée des fois. Sean Duffy le fait tous les jours. A chaque fois qu'il monte dans sa tuture. Charmant pays. 

Et d'un conservatisme. Ouch... Enquêter sur la mort d'homosexuels n'est pas une priorité. Des invertis ! Ils ont bien mérité cette fin abrupte, un châtiment divin voilà. Dans une pays où l'identité catholique est exacerbée pour faire pièce au protestantisme Britton, l'ouverture d’esprit n'est pas la qualité première de certains de ses habitants. Les homos promis à tous les cercles de l'enfer, plusieurs fois ; l'avortement s'apparente à un meurtre de masse, un pays d'aimables arriérés comme le dit l'écrivain irlandais Robert McLiam Wilson.

Adrian McKinty...


... Peint admirablement cette île de douleurs et de contradictions mais n'oublie pas de mener un suspense policier haletant, mêlant de manière magistrale, la grande histoire et la petite investigation. 

Se gardant de toutes opinions tranchées, n'épargnant pas les manœuvres crapoteuse de l'IRA qui sous couvert d'une cause appelant à l'insurrection, à la Révolution...


... ni l'intransigeance invraisemblable, criminelle et pas si impitoyable finalement de Margaret Tatcher et du gouvernement britannique. Pov' Bobby Sands et ses compadre de la prison de Maze, pions de négociations secrètes...

Excellent livre, qui dépote, addictif. L'on s'attache aux pas de Sean Duffy, boule de discordances, homme juste mais ambitieux qui se réjouit secrètement d'avoir enfin une affaire qui le sorte de son ordinaire.

Dans un style direct mais travaillé, avec un humour corrosif, d'un noir très Irlandais pour le coup, Adrian McKinty réussit un coup de maître et nous donne un roman foutrement réussi. 

Loin, très loin, des images d’Épinal mais d'une sincérité sans faille : 

"– L’Irlande du Nord n’a jamais connu de tueur en série, m’oppose-t-il. 
– C’est vrai. Quiconque ayant ce genre de dispositions aurait pu rejoindre un camp ou l’autre. Torturer et tuer à loisir tout en défendant la “cause”."

Ah... La Cause !

2 commentaires :

  1. Il y a quelque chose dans ton article qui m'a touchée...
    Peut-être parce que ce regard sur l'Irlande me rappelle d'autres pays (ex)déchirés qui me tiennent à cœur : l'Allemagne, et - surtout - la Corée. Et que j'ai toujours trouvé ces frontières intérieures d'une absurdité désarmante (sans vouloir jouer avec les mots...).

    Alors je dois dire que j'aime bien l'idée d'en apprendre davantage sur ce pays par le biais d'un thriller corrosif "foutrement réussi"...

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    1. Le concept de frontières est déjà absurde en soi, si l'on prends le temps de se poser d'y réfléchir un brin.

      Mais dans une même culture, c'est vrai que l'on frise le sublimement grotesque !

      Mais ce concept est appelé à durer malheureusement...

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