« Celui qui croit qu'une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
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Berkeley, 1973. Département de dynamique des systèmes. Quatre jeunes chercheurs mettent les dernières touches au rapport qui va changer leur vie.
Les résultats de l’IBM 360, alias « Gros Bébé », sont sans appel : si la croissance industrielle et démographique ne ralentit pas, le monde tel qu’on le connaît s’effondrera au cours du xxie siècle.
Au sein de l’équipe, chacun réagit selon son tempérament.
Le couple d’Américains, Mildred et Eugene Dundee, décide de monter sur le ring pour alerter l’opinion. Le Français Paul Quérillot songe à sa carrière et rêve de vivre vite.
Et l’énigmatique Johannes Gudsonn, le Norvégien, surdoué des maths ?
Gudsonn, on ne sait pas trop. Certains disent qu’il est devenu fou.
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En ces temps post-olympiques, filons donc la métaphore stadiste. Un paradoxe. Nous ne pouvons jamais terminer un 100 mètres. La distance est toujours divisible. 50 m, 25m, 10, 1, puis on entre dans le dur de l’infinitésimal.
Il en est de même avec le dérèglement climatique. En plus tragique. Bien plus. Notre boule bleue ne peut soutenir une telle frénésie consommatrice ? Peu importe, la date butoir est toujours à venir, n’adviendra jamais, puisque le temps est toujours divisible lui aussi. La sauce de merde est remise à un après toujours renouvelé.
C’est que montre excellement le dernier roman de Abel Quentin, un grand livre sur l’aveuglement et comment nous nous en accommodons. Par suite de la parution du rapport 21 et ses conclusions cataclysmiques, circonstanciées, avérées, les Américains s’installent dans une spirale de révolte people et acceptation résignée, une sorte de Don’t look up seventies et littéraire. Le Français en bon hédoniste hexagonal s’inscrit lui dans une perspective personnelle, désabusée et d’une tristesse pathétique.
Quant au Suédois ? Le mathématicien éperdu de beauté des sphères ? Là est le grand mystère du livre de Abel Quentin, son moment de bascule, et je préfère n’en rien dire.
Que voilà un livre revigorant, contemporain qui parle de nous, à nous, sans parler de soi. À l’heure où de trop nombreux auteurs, moultes écrivaines, jouent des frustrations de leur lectorat, un peu trop pour notre bien, Abel Quentin propose un roman dense, épique, introspectif. Début, milieu, fin. Totalement maîtrisé.
Avec un ton. Une lucidité sarcastique.
Si l'on va dans le mur (et nous y allons, soyons en sûr, quand un pays désertique accueille des compétitions de ski, nous sommes bien au -delà de la fin du début) rien n’empêche de le faire en ricanant.
La moquerie n’a jamais empêché la profondeur.
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