mercredi 9 septembre 2020


J’essaie de garder toujours deux verres d’avance sur la réalité et trois verres de retard sur la biture.

Sughrue, détective privé, doit retrouver Trahearne, un écrivain parti écluser les bars en délaissant ex-épouse, femme et mère. Il finit par le dégoter dans un bistrot. 

S'étant découvert le même penchant pour l'alcool, les deux hommes repartent à la recherche de Betty Sue, la fille de la patronne, qui n'a pas réapparu depuis dix ans. Ils emmènent dans leur périple Fireball, un bouledogue amateur de bières. 

Ils mènent la belle vie, mais toujours point de Betty Sue, qui semble avoir mal tourné...

La lecture peut s’avérer une activité vertigineuse. Elle peut susciter des interrogations métaphysiques, de celles qui surgissent sans prévenir, bouclent et rebouclent. J’ai attendu ma quarantième et quelques poussières (sur lesquelles j’éviterai soigneusement de m’appesantir) année pour découvrir James Crumley.

Auteur de romans noirs, James Crumley est un immense écrivain. Le genre à filer la dernière pelletée de terre sur la tombe du littérateur de la Blanche, celle qui pignonise sur rue. Quand cette lectrice m’affirme sans sourciller entre deux rayonnages « ah non le polar ça m’est passé, je préfère lire quand c’est mieux écrit » (sic) avec le dernier Dicker dans les mains (re sic) ... J’entendrai presque le Crumley rugir et se servir un verre.

James Crumley est le Bukowski du polar. Convoquant privés cyniques et désabusés, femmes fatales, imbibant le tout d’une plume acerbe et chantante, il transcende les figures du hard-boiled d’une mélancolie subtile. D’une ivresse présente et à venir, en un mouvement perpétuel de bourbon, vodka et sentences aiguisées...

Crumley est un tendre au fond. Il a la misanthropie affectueuse. Ni misogyne, ni machiste, il traite tous ses personnages à part égale et peine à trouver une flammèche d’espérance, une aspérité sur laquelle se reposer. Le héros de son Dernier baiser, CW Sughrue, ne transpire pas l’amour de son prochain, il sue surtout la bière et le bourbon, mais il ne peut se défaire d’un sens de la justice, de la parole donnée, de l’amitié... Ce qui l’entraîne à quelques erreurs de jugements et péripéties douloureuses.

James Crumley vous empoigne, vous emmène. Le long des routes droites et interminables qui traversent les Etats-Unis, les restoroutes oubliés, les rades miteux où la bière éventée remplit les pintes et les vessies, où l’on peut croiser des bulldogs alcooliques.

Merci aux éditions Gallmeister pour leur réédition remarquable, cette nouvelle traduction magnifique de Jacques Mailhos.

Je suis heureux : j’ai découvert James Crumley. Mais, je m’interroge. À côté de qui suis-je passé ? Qui vais-je ignorer jusqu’aux portes de la mort ?

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