samedi 3 octobre 2020


Pendant la guerre, ils étaient morts par millions pour un enjeu qui se réduisait à une lutte de territoire. Et aujourd'hui, dans toutes les rues du monde, la même bataille se poursuivait. Aujourd'hui, c'était Boston. Demain, ce serait ailleurs. Les pauvres contre les pauvres. Comme ils l'avaient toujours fait. Comme on les encourageait à le faire. Rien ne changerait jamais.

L'Amérique se remet difficilement des soubresauts de la Première Guerre mondiale.

De retour d'Europe, les soldats entendent retrouver leurs emplois, souvent occupés par des Noirs en leur absence. L'économie est ébranlée, le pays s'est endetté et l'inflation fait des ravages. La vie devient de plus en plus difficile pour les classes pauvres, en particulier dans les villes. C'est sur ce terreau que fleurissent les luttes syndicales, que prospèrent les groupes anarchistes et bolcheviques, et aussi les premiers mouvements de défense de la cause noire.

En septembre 1918, Luther Laurence, jeune ouvrier noir de l'Ohio, est amené par un étonnant concours de circonstances à disputer une partie de base-ball face à Babe Ruth, étoile montante de ce sport. Une expérience amère qu'il n'oubliera jamais. Au même moment, l'agent Danny Coughlin, issu d'une famille irlandaise et fils aîné d'un légendaire capitaine de la police de Boston, pratique la boxe avec talent.

Il est également chargé d'une mission spéciale par son parrain, le retors lieutenant McKenna, qui l'infiltre dans les milieux syndicaux et anarchistes pour repérer les "fauteurs de troubles" puis les expulser du territoire américain. A priori Luther et Danny n'ont rien en commun. Le destin va pourtant les réunir à Boston en 1919, l'année de tous les dangers. Tandis que Luther fuit son passé, Danny cherche désespérément le sens de sa vie présente, en rupture avec le clan familial.

Dans une ville marquée par une série de traumatismes, une ville où gronde la révolte, la grève des forces de police va mettre le feu aux poudres.

Que peuvent avoir en commun le fils d’un éminent gradé de Boston et un jeune afro-américain de l’Ohio dans Les Etats-Unis d’immédiate après-guerre mondiale, la première ? Pas grand-chose, si ce n’est une certaine idée du déclassement, un destin et Boston.

Dennis Lehane est l’un écrivain doué, l’un des plus grands de la littérature policière de ces dernières décades. Il a un sens du rythme, de la construction, des dialogues qui touche au génie. Lehane c’est le brio en action. Que ce soient les romans de la série Kenzie/Gennaro, le fameux Shutter Island (heureuses sont celles qui l’ont lu en toute ignorance avant la déferlante Scorcesienne), Mystic River etc. On n’en finit plus d’égrener ses succès publics et critiques.

Un pays à l’aube explose les codes du genre que l’on pensait bien bordés. On se prépare à lire un bon polar, le métier de Lehane déroulant sa mécanique souple et puissante, une lecture plaisante, addictive, mais y trouver une telle fresque, une telle ampleur...

Un pays à l’aube est une odyssée familiale, une tapisserie immense d’’injustices, de revendications sociales, de révolte qui gronde. D’échappatoires vers une carrière à haut risque mais qui permet de s’extraire de cet ascenseur social qui n’est qu’un passe-plat bloqué au sous-sol... Lehane roule cette tapisserie en une corde tressée, à la trame impénétrable, pour nous cingler les synapses.
Servi par une excellente traduction (merci à Isabelle Maillet), Un pays à l’aube est la quintessence de la maîtrise Lehanienne. Un style direct et dense, des personnages puissamment incarnés, un tempo qui ne débande jamais...

Lehane nous montre la vérité crue d’un pays en panne qui deviendra un autre en cale sèche. Les flics en patrouille sont payés une misère, un salaire ras le bitume c’est open bar pour un recrutement mafieux massif. Les Noirs explorent concrètement les sept cercles de l’enfer de Dante. De nouveaux sont même créés spécialement à leur intention. Le tout devient un brouet hautement inflammable en attente d’une flammèche.

Dennis Lehane tient le zippo...

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