vendredi 15 juin 2018


"Tout au long du XXe siècle, [la gauche] a accédé au pouvoir grâce à la puissance des passions collectives, dont celle de l’égalité. Et puis elle a accepté de les tamiser, avant de les étouffer sous une couverture de rationalité technique. Cette retraite bureaucratique, cette nouvelle conscience qui ne voit dans le monde que moyens et machines ont forgés les barreaux de sa cage de fer."

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Salutations les aminches. 

Peut-être que dans un futur proche éloigné, des savants retrouveront, piégé dans l'ambre, un moustique qui aura sucé le sang d'un(e) vrai(e) homme et femme de gauche. Gauchassic park verra le jour. S'y ébattront Jaurès, Blum, Mitterrand, Hollande (arf pardon), Olympe de Gouge, Irène Joliot-Curie... 

Peut-être des panneaux informatifs signaleront qu'il fut un temps, des temps, où des gouvernements de gauche accédèrent au pouvoir avant de de se fourvoyer inlassablement. Sisyphe allant chercher son caillou et trébuchant au même endroit, pour les mêmes causes. 


Longtemps, la gauche au pouvoir a caboté entre deux récifs. 

Tantôt sa volonté de transformation sociale butait sur les « contraintes » imposées par l’ordre capitaliste. 

Tantôt sa pratique du pouvoir devançait les préférences et les exigences de ses adversaires. 

En France, au cours du XXe siècle, les périodes associées au Cartel des gauches (1924–1926), au Front populaire (1936–1938), à la Libération (1944–1947), et aux premières années de l’ère mitterrandienne (1981–1986) ont illustré cette tension entre espérance et renoncement, audace et enlisement.


Ils voulaient changer la vie comme le chantait l'un. Ils se contentent désormais de gérer le train de la leur. 

Halimi appuie là où ça fait mal. L'invraisemblable danse du ventre de la gauche devant une droite réfractaire : la gauche cherche toujours à plaire (ou rassurer) la droite, complexe d'infériorité devant un camp politique considérant la gestion des affaires publiques comme son dû ? Peut-être... Ce qui est remarquable, c'est que l'inverse ne se vérifie jamais : la droite se suffit à elle même et ne chasse pas sur les terres de son adversaire politique. 

Il est vrai, cependant, que la gauche se heurta systématiquement à une méfiance généralisée des milieux d'affaires, la Finance ("mon seul ennemi" comme osa le clamer l'autre avant de se renier) et dût composer avec un système bien en place et hostile. Néanmoins, Halimi prend soin de dédramatiser cet enjeu exogène et démontre implacablement que les renoncements de la gauche furent aussi internes, fruits des divisions entre PCF et SFIO puis PS, conséquences d'une incapacité psychologique à vraiment tenter sa chance, résultats de l'égarement de ses dirigeants. Le tournant de la rigueur en 1982 est une illustration frappante de cette inconséquence. L'abandon de l’Espagne républicaine aux Franquistes en 1937 incarne la pusillanimité d'une gauche tétanisée, qui rompt sur ses valeurs élémentaires.   

Halimi met en lumière, qu'au delà, de situations politiques dissemblables au possible, de contextes géopolitiques extrêmement différents, cet échec de la gauche au pouvoir répond aux mêmes invariants. Il tord le coup au passage au mythe d'une droite bonne gestionnaire alors que les déficits sous son magistère furent abyssaux et laissés en héritage merdeux à l'alternance. Halimi n'oublie pas que la Droite fut au pouvoir presque 80 % (fourchette basse) du temps gouvernemental républicain, elle peut difficilement s’exonérer du bordel ambiant.

Halimi affirme également son goût de la passion collective. Les conquêtes de la Gauche furent (trop) peu nombreuses mais réelles. Elles reposent sur une implication des masses laborieuses, s'appuient sur un soulèvement populaire. 1936 en est une preuve éclatante. 

Ce bouquin assène en filigrane qu'il est bien plus aisé d'être de droite que de gauche, en somme. Que se contenter du monde tel qu'il est est plus facile que le changer tel qu'il pourrait être. 

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