lundi 23 avril 2018


"Les spécialistes se chamaillaient sur la nature des bêtes aperçues, cet ancêtre du rhinocéros était de toute évidence un tricératops, les deux autres monstres un brontosaure, dinosaure saurischien, et un allosaure, dinosaure théropode comme chacun savait, comment pouvait-on être à ce point ignare ? Nous étions peut-être au seuil d’un continent nouveau de l’esprit humain, déclarait un philosophe, ce film ouvrait des perspectives immenses : si en nous était la mémoire enfouie, non seulement des premiers âges de l’homme, mais aussi de la longue chaîne de l’évolution, ne pouvait-elle pas se trouver en effet réactivée par ce que Doyle disait un pouvoir « psychique » ?"


***

Salutations les aminches. 

Remontons le temps. 

Pas autant que vous pourriez le croire. Arrêtons nous en 1993, pour l'instant.

Cette année marque un jalon dans l'histoire du septième art, on corne la pellicule pour marquer le coup. 

1993 est l'année de 



Des dinosaures plus vrais que nature baguenaudant pesamment (pour certains) dans de verts pâturages contemporains. 

C'était criant de vérité, peu importe ce que l'on pense du film par ailleurs (un réel savoir faire pour une histoire un brin pauvrette me semble-t-il), Spielberg a institutionnalisé son film dans les bréviaires, il y a eu un avant et un après JURASSIC PARK.

Mais on est loin, très loin, de la sidération, parfois frôlant la pure terreur, qu’éprouvèrent les spectateurs de :



Un succès hors norme. 

Et le film préféré de Adolf Hitler qui ne dédaignait pas se frapper les pecs en beuglant "je suis Kong", il avait vu la fin ?

Les effets spéciaux révolutionnaires pour l'époque nous apparaissent aujourd'hui datés à nos yeux blasés, gavés de prouesses numériques sur fond vert. Ce que l'on a gagné en réalisme troublant, on l'a perdu en poésie, je suis prêt à le parier. 

Comment en vient-on à créer KING KONG ? A porter un tel phénomène ? A l'accoucher contre vents et marées ? Contre les préventions des comptables surtout, en pleine tourmente économique, la grande dépression, le Jeudi Noir, n'étant pas si loin ?

C'est qu'il vient de loin KING KONG. L'idée en a germé dans l'esprits de deux sacrés personnages, azimutés, survivants de la grande guerre et un peu fous, de cette folie qui t'envoient dans des contrées que l'on peine à imaginer...


Deux jeunes gens sortent sonnés de la Grande Guerre. L’un, Ernest Schoedsack, a filmé l’horreur dans la boue des tranchées  ; l’autre, Merian Cooper, héros de l’aviation américaine, sérieusement brûlé, sort d’un camp de prisonniers. 

Ils  se rencontrent dans Vienne occupée, puis se retrouvent à Londres où naît le projet qui va les lier pour la vie. Comment dire la guerre  ? Comment dire ce puits noir  où l’homme s’est perdu – et peut-être, aussi, révélé  ? Pas de fiction, se jurent-ils  : le réalisme le plus exigeant. 

S’ensuivent des aventures échevelées  : guerre russo-polonaise, massacres de Smyrne, Abyssinie, épopée de la souffrance en Iran, tigres mangeurs d’hommes, guerriers insurgés au Soudan…

Leurs films sont à couper le souffle. On les acclame  : «  Les T.E.  Lawrence de l’aventure  !  » lance le New York Times. Eux font la moue. Manque ce qu’ils voulaient restituer du mystère du monde. Déçu, Cooper renoncera quelque temps – pour créer avec des amis aviateurs rien moins que… la Pan Am  ! – avant d’y revenir.

Ce sera pour oser la fiction la plus radicale, le film le plus fou, pour lequel il faudra inventer des techniques nouvelles d’animation. Un coup de génie. Une histoire de passion amoureuse, mettant en scène un être de neuf mètres de haut, Kong, que l’on craint, qui épouvante, mais que l’on pleure quand il meurt… Le film est projeté à New York devant une foule immense, trois semaines avant qu’Hitler ne prenne les pleins  pouvoirs.

Kong est ce que l'on appelle un livre monde, à savoir un big pavé, plus de 900 pages qui va au fond de son sujet : la vie aventureuse, proprement incroyable, des deux réalisateurs de KING KONG : 


Ernest B. Schoedsack & Merian C. Cooper
Michel Le Bris se glisse dans les pas des deux frères d'âmes, rescapés de 14-18, l'un affecté au service cinématographique, au plus près des tranchées, l'autre héros d'escadrille, pilote émérite ; les deux fuyant les honneurs comme la peste.

Ils sortiront durablement meurtris de la guerre, hantés...

Dans son phénoménal (le mot n'est pas trop fort) KONG, Le Bris ne quitte pas d'une semelle les deux hommes, enfin surtout Cooper, Coop, le plus petit des deux car l'autre, Schoedsack, que l'on surnomme par dérision Shorty, cumule à presque deux mètres.

Quelle vie ils ont eue, quelle vie !

L'aventure la vraie, à une époque où l'ensemble du globe n'était pas cartographié, ils vont s'efforcer de traquer l'Humaine Condition, notre intimité réductible à tout(e)s, notre part d'ombre.

En ramener des pépites de documentaires, filmés dans des conditions difficilement imaginables.

Et pour cela, ils vont arpenter les continents, les lieux les plus reculés et vivre des épopées dantesques. Le Bris, d'une plume alerte, retranscrit à merveille ces passages de col, ce froid, la fièvre de la mousson, ces campements hasardeux, là où ces deux là ne sont jamais aussi heureux, un couchage à la dure et l'incertitude du lendemain.

L'ivresse, l'élan, toujours, pour tâcher de tenir la guerre à distance, 14-18 et ses soubresauts, notamment la guerre civile russe suite à la révolution d'Octobre, une bien belle boucherie.

"D’honneur. Si un mot n’avait plus de sens, là-bas, c’était bien celui-là. Polonais, Russes, Allemands, Tchèques, Lituaniens, Ukrainiens, Silésiens, tous se battaient les uns contre les autres. Ou entre eux, Russes blancs contre bolcheviks, catholiques contre orthodoxes, nationalistes contre nationalistes. Dans la boue et la neige, tous crevant de froid, décimés par les épidémies, tous pillant, tuant, violant, emportés dans un vertige de destruction. Plus de civils et de militaires : le grand chacun pour soi. Un seul mot d’ordre, survivre. Qu’avait à faire l’honneur, dans ce cauchemar ?"

Livre monde s'il en est car c'est bien tout un monde qui revit sous nos yeux, toute une époque du moins, la naissance d'Hollywood, puis du parlant (KING KONG sera l'un des premiers films parlants), la chute du capitalisme triomphant, temporaire la chute. 

C'est tout cela KONG. 

C'est aussi de beaux portraits de femmes, affranchies des conventions mysogines dans lesquelles on voudrait les enfermer. Telle la formidable Marguerite Harrison, journaliste, reporter de guerre, d'un courage et d'une lucidité remarquables. Ou bien la fine Ruth, la femme de Schoedsack, elle qui scénarisera KING KONG, qui en comprendra le ressort : le monstre n'est pas celui que l'on croit. Ou encore Fay Wray, la fiancée du Kong, la blonde hurlante et frémissante du film...

Il en faut du talent pour nous harponner sur un tel quintal littéraire, plus de 900 pages au garrot.

De la première scène saisissante : une avant première du film tiré des romans de Conan Doyle LE MONDE PERDU...

"De Conan Doyle, il connaissait quelques aventures de Sherlock Holmes, comme tout le monde, mais ce Monde perdu était différent : sinon un chef-d’œuvre, une vision d’une telle puissance qu’elle lui avait mis l’esprit en feu."

... A celle de KING KONG qui sauvera presque la RKO à lui tout seul ; nous non plus on n'aura pas lâché ces deux affamés d'absolu qui auront su nous faire oublier l'illusoire petitesse de notre existence.

Illusoire car KONG nous redonne le gout de l'aventure, elle ne se trouve pas qu'au Kilimandjaro mais aussi au coin de la rue. 

OK...

Peut-être celle d'après...

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