"Alors, en attendant que la guerre froide dégénère, Perón devient le grand chiffonnier. Il fouille les poubelles d’Europe, entreprend une gigantesque opération de recyclage : il gouvernera l’Histoire, avec les détritus de l’Histoire. Perón ouvre les portes de son pays à des milliers et des milliers de nazis, de fascistes et de collabos ; des soldats, des ingénieurs, des scientifiques, des techniciens et des médecins ; des criminels de guerre invités à doter l’Argentine de barrages, de missiles et de centrales nucléaires, à la transformer en superpuissance."
***
Saudações les aminches.
A y est.
2018 est dans la place.
Mais fin 2017 n'est pas si loin. La fin de l'année avec la distribution des prix littéraires. Je me méfie un brin de cette martingale qui impacte favorablement les ventes des heureux gagnants.
Cela s'apparente à mes yeux à un jeu de somme nulle, un allez retour de services bien compris, un subtil équilibre entre maisons bien établies se partageant la galette éditoriale.
Mais un nouvel acteur semble s'être immiscé dans ce prêté-rendu annuel :
La chaîne du documentaire... Nazi.
Nazi Mégastructures, Les complices d'Hitler, Hitler et le gluten, les extra-terrestres etc.
RMC a dû peser de tout son poids car les deux principaux prix parlent explicitement du régime nazi.
Le prix Goncourt.
Eric Vuillard s'est fait une spécialité de se focaliser sur des événements historiques qu'il revisite d'une langue très travaillée, avec le rythme d'un cacochyme agonisant, aussi palpitant qu'un jus de tofu un jour de pluie.
Mais il ne fut pas le seul à se pencher sur les répliques du séisme nazi.
1949 : Josef Mengele arrive en Argentine.
Caché derrière divers pseudonymes, l’ancien médecin tortionnaire à Auschwitz croit pouvoir s’inventer une nouvelle vie à Buenos Aires. L’Argentine de Peron est bienveillante, le monde entier veut oublier les crimes nazis.
Mais la traque reprend et le médecin SS doit s’enfuir au Paraguay puis au Brésil. Son errance de planque en planque, déguisé et rongé par l’angoisse, ne connaîtra plus de répit… Jusqu’à sa mort mystérieuse sur une plage en 1979.
Comment le médecin SS a-t-il pu passer entre les mailles du filet, trente ans durant ?
Là où Vuillard s'attache aux prémisses, Guez fait dans l'après, la fuite et l'exil des caciques de l'Allemagne nazie.
Sweet home Argentina.
Peron accueille à bras ouverts les pires salopards, comptant sur une destruction mutuelle des deux Blocs quand la guerre froide cessera d'être température ambiante. Il pourra alors faire de l'Argentine la superpuissance dominatrice, s'appuyant sur les compétences fantasmées des dignitaires nazis déchus.
Couronné par le prix Renaudot, LA DISPARITION... se coule dans les pas de l’ange de la mort d’Auschwitz avec une entomologie documentaire. Conscient du potentiel problématique de son synopsis, Olivier Guez s'applique, dans style sec, précis et sans empathie (tu m'étonnes !) à démonter la légende noire du monstrueux docteur.
Incarné par un Laurence Oliver peu cryptique dans MARATHON MAN, cabotiné explicitement par un Grégory Peck en roue libre dans CES ENFANTS QUI VENAIENT DU BRÉSIL, Joseph Mengele alimenta la boite à fantasme pendant ses années de fuite.
Mengele eut la chance de naître dans une famille aisée et put ainsi financer son exil sud américain, sans bénéficier des fameuses Ratlines. Moins systémiques et élaborées que longtemps présumés, cette distribution de passeports diplomatiques (via le Vatican et la Croix Rouge) n'a, à priori, joué aucun rôle dans le confort relatif que fut la fin de vie de Mengele.
Et ça fait chier. Que Mengele ait pu échapper à son juste châtiment, ça ne passe pas crème, pas du tout.
Nulle collusion occulte, nul quatrième Reich manipulant en sous main les gouvernements mondiaux, juste un concours de circonstances et des impératifs géostratégiques qui changent. Olivier Guez évacue avec bonheur toutes les théories complotistes pourrissantes et abat la figure du cerveau criminel, du monstre du Mal, ourdissant de sombres projets du fond de la jungle amazonienne.
La fuite de Mengele est mal connue. De nombreuses ombres subsistent. Olivier Guez comble les trous en envoyant Mengele au fond d'un enfer de chaleur moite, de souffrances gastriques, d'nnui abyssal. Il le réduit à sa médiocrité intrinsèque, sans effacer que la justice cosmique, finale, divine, que sais-je... était en congé prolongé.
Nourri de flash-backs glaçants sur la mécanique chirurgicale et mégalomaniaque du praticien sans états d'âme...
"Injecter, mesurer, saigner, découper, assassiner, autopsier : à sa disposition, un zoo d’enfants cobayes afin de percer les secrets de la gémellité, de produire des surhommes et de rendre les Allemandes plus fécondes pour peupler un jour de paysans soldats les territoires de l’Est arrachés aux Slaves et défendre la race nordique. Gardien de la pureté de la race et alchimiste de l’homme nouveau : une formidable carrière universitaire et la reconnaissance du Reich victorieux le guettaient après-guerre."
LA DISPARITION DE JOSEPH MENGELE narre le basculement d'une retraite confortable à une survie sordide. De l'Argentine au Serra Negra brésilien.
Mengele finira seul, misérable, haï et méprisé par son fils qui porte un héritage douloureusement encombrant :
"Rolf Mengele est un jeune homme tourmenté. A chaque fois qu'il se présente, l'accueillent un silence gêné, des regards embarrassés. Mengele, comme... ? Oui, Mengele. Le fils de Satan. Maudit patronyme, sa croix et sa bannière, jamais il n'oubliera sa consternation et son chagrin le jour où il a découvert en lisant les journaux, peu après l'enlèvement d'Eichmann, que l'oncle badin qui lui racontait des histoires de gauchos et d'Indiens à l'hôtel Engel était [en réalité] son père, le médecin tortionnaire d'Auschwitz."
Honnêtement, je ne sais pas si LA DISPARITION DE JOSEPH MENGELE méritait son prix mais Olivier Guez, tout en retenue, arrive à susciter un suspense alors que la fin est connue, sans susciter le malaise.
Rien que pour ça...
Finalement, LA DISPARITION DE JOSEPH MENGELE est un bon livre.
Cela peut suffire.
A y est.
2018 est dans la place.
Mais fin 2017 n'est pas si loin. La fin de l'année avec la distribution des prix littéraires. Je me méfie un brin de cette martingale qui impacte favorablement les ventes des heureux gagnants.
Cela s'apparente à mes yeux à un jeu de somme nulle, un allez retour de services bien compris, un subtil équilibre entre maisons bien établies se partageant la galette éditoriale.
Mais un nouvel acteur semble s'être immiscé dans ce prêté-rendu annuel :
La chaîne du documentaire... Nazi.
Nazi Mégastructures, Les complices d'Hitler, Hitler et le gluten, les extra-terrestres etc.
RMC a dû peser de tout son poids car les deux principaux prix parlent explicitement du régime nazi.
Le prix Goncourt.
Eric Vuillard s'est fait une spécialité de se focaliser sur des événements historiques qu'il revisite d'une langue très travaillée, avec le rythme d'un cacochyme agonisant, aussi palpitant qu'un jus de tofu un jour de pluie.
Mais il ne fut pas le seul à se pencher sur les répliques du séisme nazi.
1949 : Josef Mengele arrive en Argentine.
Caché derrière divers pseudonymes, l’ancien médecin tortionnaire à Auschwitz croit pouvoir s’inventer une nouvelle vie à Buenos Aires. L’Argentine de Peron est bienveillante, le monde entier veut oublier les crimes nazis.
Mais la traque reprend et le médecin SS doit s’enfuir au Paraguay puis au Brésil. Son errance de planque en planque, déguisé et rongé par l’angoisse, ne connaîtra plus de répit… Jusqu’à sa mort mystérieuse sur une plage en 1979.
Comment le médecin SS a-t-il pu passer entre les mailles du filet, trente ans durant ?
Là où Vuillard s'attache aux prémisses, Guez fait dans l'après, la fuite et l'exil des caciques de l'Allemagne nazie.
Sweet home Argentina.
Peron accueille à bras ouverts les pires salopards, comptant sur une destruction mutuelle des deux Blocs quand la guerre froide cessera d'être température ambiante. Il pourra alors faire de l'Argentine la superpuissance dominatrice, s'appuyant sur les compétences fantasmées des dignitaires nazis déchus.
Couronné par le prix Renaudot, LA DISPARITION... se coule dans les pas de l’ange de la mort d’Auschwitz avec une entomologie documentaire. Conscient du potentiel problématique de son synopsis, Olivier Guez s'applique, dans style sec, précis et sans empathie (tu m'étonnes !) à démonter la légende noire du monstrueux docteur.
Incarné par un Laurence Oliver peu cryptique dans MARATHON MAN, cabotiné explicitement par un Grégory Peck en roue libre dans CES ENFANTS QUI VENAIENT DU BRÉSIL, Joseph Mengele alimenta la boite à fantasme pendant ses années de fuite.
Mengele eut la chance de naître dans une famille aisée et put ainsi financer son exil sud américain, sans bénéficier des fameuses Ratlines. Moins systémiques et élaborées que longtemps présumés, cette distribution de passeports diplomatiques (via le Vatican et la Croix Rouge) n'a, à priori, joué aucun rôle dans le confort relatif que fut la fin de vie de Mengele.
Et ça fait chier. Que Mengele ait pu échapper à son juste châtiment, ça ne passe pas crème, pas du tout.
Nulle collusion occulte, nul quatrième Reich manipulant en sous main les gouvernements mondiaux, juste un concours de circonstances et des impératifs géostratégiques qui changent. Olivier Guez évacue avec bonheur toutes les théories complotistes pourrissantes et abat la figure du cerveau criminel, du monstre du Mal, ourdissant de sombres projets du fond de la jungle amazonienne.
La fuite de Mengele est mal connue. De nombreuses ombres subsistent. Olivier Guez comble les trous en envoyant Mengele au fond d'un enfer de chaleur moite, de souffrances gastriques, d'nnui abyssal. Il le réduit à sa médiocrité intrinsèque, sans effacer que la justice cosmique, finale, divine, que sais-je... était en congé prolongé.
Nourri de flash-backs glaçants sur la mécanique chirurgicale et mégalomaniaque du praticien sans états d'âme...
"Injecter, mesurer, saigner, découper, assassiner, autopsier : à sa disposition, un zoo d’enfants cobayes afin de percer les secrets de la gémellité, de produire des surhommes et de rendre les Allemandes plus fécondes pour peupler un jour de paysans soldats les territoires de l’Est arrachés aux Slaves et défendre la race nordique. Gardien de la pureté de la race et alchimiste de l’homme nouveau : une formidable carrière universitaire et la reconnaissance du Reich victorieux le guettaient après-guerre."
LA DISPARITION DE JOSEPH MENGELE narre le basculement d'une retraite confortable à une survie sordide. De l'Argentine au Serra Negra brésilien.
Mengele finira seul, misérable, haï et méprisé par son fils qui porte un héritage douloureusement encombrant :
"Rolf Mengele est un jeune homme tourmenté. A chaque fois qu'il se présente, l'accueillent un silence gêné, des regards embarrassés. Mengele, comme... ? Oui, Mengele. Le fils de Satan. Maudit patronyme, sa croix et sa bannière, jamais il n'oubliera sa consternation et son chagrin le jour où il a découvert en lisant les journaux, peu après l'enlèvement d'Eichmann, que l'oncle badin qui lui racontait des histoires de gauchos et d'Indiens à l'hôtel Engel était [en réalité] son père, le médecin tortionnaire d'Auschwitz."
Honnêtement, je ne sais pas si LA DISPARITION DE JOSEPH MENGELE méritait son prix mais Olivier Guez, tout en retenue, arrive à susciter un suspense alors que la fin est connue, sans susciter le malaise.
Rien que pour ça...
Finalement, LA DISPARITION DE JOSEPH MENGELE est un bon livre.
Cela peut suffire.
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