"N'importe quel journaliste qui n'est pas trop stupide ou infatué de lui même pour s'apercevoir ce qui se passe avec son sujet, sait que ce qu'il fait est moralement indéfendable. Il est une sorte de confident, jouant sur la vanité des gens, leur ignorance ou leur solitude, gagnant leur confiance et les trahissant sans remord"
***
Coucou les aminches.
Vous connaissez cette blague éculée ?
Qu'est ce qu'un naufrage avec 200 journalistes à bord ?
Au hit parade inversé des professions les plus cordialement honnies, le journaliste figure en bonne place. Il y côtoie le politicien avec qui il boit des coups, l'ambianceur à Rakka ou le marchand ambulant de côtelettes de porc en plein cœur du vieux Jérusalem.
C'est que l'on confuse à mon humble avis. On confond l'éditorialiste expertisant sentencieusement sur tous les sujets sur les plateaux de télévision accueillant son rond de serviette avec le journaliste d'investigation.
Le cool, le vrai.
Çui qui fait tomber un président. Une fois. Faut pas trop chier dans la colle non plus.
On a aussi une catégorie médiane, le livre de non fiction, mélange bâtard d'enquête journalistique et de littérature dont le modèle indépassable est le DE SANG FROID de Truman Capote.
Ou bien encore :
Joe McGinniss, célèbre journaliste et écrivain, prépare un livre sur Jeffrey MacDonald, un homme condamné pour le meurtre de sa famille et qui persiste à clamer son innocence.
Or, l'ouvrage n'est pas celui espéré par MacDonald : stupéfait de s'y voir dépeint comme un dangereux psychopathe, celui-ci comprend qu'il s'est laissé berner par l'amitié illusoire de McGinniss et décide de lui intenter un procès.
Le journaliste et l'assassin offre le récit de cette histoire survenue il y a trois décennies outre-Atlantique.
Peut-on écrire sans trahir ?
Là est la question qui palpite tout le long du livre de Janet Malcolm, qui fut bien désossé à sa sortie mais qui est aujourd'hui considéré comme un classique et étudié sur les bancs de la fac.
Il faut dire que Malcolm dessoude consciencieusement la gente journalistique et tend à faire de Joe McGinnis un archétype repoussoir. Elle essentialise un brin l'ensemble d'une profession qu'elle présente comme des prédateurs cajoleurs attendant de réduire en miette le sujet de leurs papiers.
"Suivant leur personnalité, les journalistes trouvent à leur traîtrise différentes justifications. Les plus pompeux parlent de liberté d'expression et du "droit du public à savoir", les moins talentueux parlent d'art, et les minables marmonnent qu'il faut bien gagner sa vie".
Cela n'a guère plu.
Janet Malcolm ne s'épargne pas non plus et ne se peint pas sous les traits d'une héroïne au cœur pur, une idéaliste à la Capra vibrante de principes immémoriaux. Non, elle se dépeint comme une journaliste qui trahira fatalement pour atteindre une vérité subjective. La sienne.
Joe McGinnis est un cas d'école. Membre de l'équipe de défense de Jeffrey McDonald, il a accès à tous les documents, les arguties juridiques, les preuves médico-légales etc. Une place de choix, un rêve pour un investigateur en perte de vitesse qui cherche le best-seller.
McGinnis va donc jouer un double jeu. Il va se convaincre peu à peu de la culpabilité de McDonald (ou bien pressent-il que sa culpabilité est plus bankable pour la vente de son futur pavé ? Janet Malcolm le sous entend pesamment) mais continue à feindre le meilleur pote, toujours prêt à partager une bière.
Après la condamnation à perpette de McDonald, un échange épistolaire hallucinant s'installe, où McGinnis plaint son "ami" Jeffrey tout en poursuivant une entreprise de démolition systématique de son système de défense. Il a besoin de McDonald pour accéder à sa mère, ses écrits, sa vie...
McDonald a besoin de McGinnis pour le réhabiliter. Croît-il. La scène dépeinte dans le bouquin où McDonald apprend, médusé, en direct à la télévision, qu'il s'est fait duper bien profond, est terrible.
On ne peut reprocher à Janet Malcolm de la jouer à l'envers avec McGinnis : elle n'aura qu'un entretien qu'avec lui avant qu'il ne mette fin à ces entrevues. Elle ne cache pas son antipathie envers McGinnis, pas assez ?
Le procès entre un reconnu coupable de meurtre de sa femme et ses enfants et un journaliste retors va tourner à l'avantage du premier. Elle peine à masquer une légère satisfaction devant ce résultat. Résultat que l'on peut aussi redouter comme préjudiciable en tant que jurisprudence "liberticide".
Janet Malcolm ne prend pas position sur la culpabilité ou non de McDonald (acquitté lors d'un premier procès militaire car il était lui même médecin militaire au moment des meurtres) mais ne dissimule en rien la duplicité visqueuse de McGinnis prêt à tout pour conserver son point de vue imparable sur l'affaire.
Quête habile, psychanalytique, des relations machiavéliques qui se nouent dès que l'on nous tend un micro...
"Nous avons l'impression que quelque chose se produit dans la tête des gens quand ils rencontrent un journaliste, et que c'est en réalité exactement le contraire de ce à quoi on s'attend. On pourrait penser qu'une méfiance et une prudence extrêmes seraient à l'ordre du jour, mais en réalité, impétuosité, impulsivité et confiance puérile sont bien plus fréquentes. La rencontre journalistique semble provoquer chez le sujet le même effet régressif que la rencontre psychanalytique. Il devient en quelque sorte l'enfant de l'auteur qu'il regarde comme une mère permissive, prête à tout accepter et à tout pardonner ; et il s'attend à ce que ce soit elle qui écrive le livre. Mais bien évidemment, l'ouvrage est écrit par le père, un homme strict qui voit tout et ne pardonne rien."
... LE JOURNALISTE ET L'ASSASSIN est un bouquin saisissant et partial sur l'ambiguïté morale entre auteur et sujet, chacun essayant de se nourrir de l'autre.
"L'ambiguïté morale du journalisme n'est pas dans les écrits mais dans les relations humaines qui en sont à l'origine ; et ces relations humaines sont invariablement et inévitablement déséquilibrées."
Mais ce sont souvent les mêmes qui se repaissent des restes de l'autre.
Un bon début, au fait.
Qu'est ce qu'un naufrage avec 200 journalistes à bord ?
Un bon début.
Vous connaissez cette blague éculée ?
Qu'est ce qu'un naufrage avec 200 journalistes à bord ?
Au hit parade inversé des professions les plus cordialement honnies, le journaliste figure en bonne place. Il y côtoie le politicien avec qui il boit des coups, l'ambianceur à Rakka ou le marchand ambulant de côtelettes de porc en plein cœur du vieux Jérusalem.
C'est que l'on confuse à mon humble avis. On confond l'éditorialiste expertisant sentencieusement sur tous les sujets sur les plateaux de télévision accueillant son rond de serviette avec le journaliste d'investigation.
Le cool, le vrai.
Çui qui fait tomber un président. Une fois. Faut pas trop chier dans la colle non plus.
On a aussi une catégorie médiane, le livre de non fiction, mélange bâtard d'enquête journalistique et de littérature dont le modèle indépassable est le DE SANG FROID de Truman Capote.
Ou bien encore :
Joe McGinniss, célèbre journaliste et écrivain, prépare un livre sur Jeffrey MacDonald, un homme condamné pour le meurtre de sa famille et qui persiste à clamer son innocence.
Or, l'ouvrage n'est pas celui espéré par MacDonald : stupéfait de s'y voir dépeint comme un dangereux psychopathe, celui-ci comprend qu'il s'est laissé berner par l'amitié illusoire de McGinniss et décide de lui intenter un procès.
Le journaliste et l'assassin offre le récit de cette histoire survenue il y a trois décennies outre-Atlantique.
Peut-on écrire sans trahir ?
Là est la question qui palpite tout le long du livre de Janet Malcolm, qui fut bien désossé à sa sortie mais qui est aujourd'hui considéré comme un classique et étudié sur les bancs de la fac.
Il faut dire que Malcolm dessoude consciencieusement la gente journalistique et tend à faire de Joe McGinnis un archétype repoussoir. Elle essentialise un brin l'ensemble d'une profession qu'elle présente comme des prédateurs cajoleurs attendant de réduire en miette le sujet de leurs papiers.
"Suivant leur personnalité, les journalistes trouvent à leur traîtrise différentes justifications. Les plus pompeux parlent de liberté d'expression et du "droit du public à savoir", les moins talentueux parlent d'art, et les minables marmonnent qu'il faut bien gagner sa vie".
Cela n'a guère plu.
Janet Malcolm ne s'épargne pas non plus et ne se peint pas sous les traits d'une héroïne au cœur pur, une idéaliste à la Capra vibrante de principes immémoriaux. Non, elle se dépeint comme une journaliste qui trahira fatalement pour atteindre une vérité subjective. La sienne.
Joe McGinnis est un cas d'école. Membre de l'équipe de défense de Jeffrey McDonald, il a accès à tous les documents, les arguties juridiques, les preuves médico-légales etc. Une place de choix, un rêve pour un investigateur en perte de vitesse qui cherche le best-seller.
McGinnis va donc jouer un double jeu. Il va se convaincre peu à peu de la culpabilité de McDonald (ou bien pressent-il que sa culpabilité est plus bankable pour la vente de son futur pavé ? Janet Malcolm le sous entend pesamment) mais continue à feindre le meilleur pote, toujours prêt à partager une bière.
Après la condamnation à perpette de McDonald, un échange épistolaire hallucinant s'installe, où McGinnis plaint son "ami" Jeffrey tout en poursuivant une entreprise de démolition systématique de son système de défense. Il a besoin de McDonald pour accéder à sa mère, ses écrits, sa vie...
McDonald a besoin de McGinnis pour le réhabiliter. Croît-il. La scène dépeinte dans le bouquin où McDonald apprend, médusé, en direct à la télévision, qu'il s'est fait duper bien profond, est terrible.
On ne peut reprocher à Janet Malcolm de la jouer à l'envers avec McGinnis : elle n'aura qu'un entretien qu'avec lui avant qu'il ne mette fin à ces entrevues. Elle ne cache pas son antipathie envers McGinnis, pas assez ?
Le procès entre un reconnu coupable de meurtre de sa femme et ses enfants et un journaliste retors va tourner à l'avantage du premier. Elle peine à masquer une légère satisfaction devant ce résultat. Résultat que l'on peut aussi redouter comme préjudiciable en tant que jurisprudence "liberticide".
Janet Malcolm ne prend pas position sur la culpabilité ou non de McDonald (acquitté lors d'un premier procès militaire car il était lui même médecin militaire au moment des meurtres) mais ne dissimule en rien la duplicité visqueuse de McGinnis prêt à tout pour conserver son point de vue imparable sur l'affaire.
Quête habile, psychanalytique, des relations machiavéliques qui se nouent dès que l'on nous tend un micro...
"Nous avons l'impression que quelque chose se produit dans la tête des gens quand ils rencontrent un journaliste, et que c'est en réalité exactement le contraire de ce à quoi on s'attend. On pourrait penser qu'une méfiance et une prudence extrêmes seraient à l'ordre du jour, mais en réalité, impétuosité, impulsivité et confiance puérile sont bien plus fréquentes. La rencontre journalistique semble provoquer chez le sujet le même effet régressif que la rencontre psychanalytique. Il devient en quelque sorte l'enfant de l'auteur qu'il regarde comme une mère permissive, prête à tout accepter et à tout pardonner ; et il s'attend à ce que ce soit elle qui écrive le livre. Mais bien évidemment, l'ouvrage est écrit par le père, un homme strict qui voit tout et ne pardonne rien."
... LE JOURNALISTE ET L'ASSASSIN est un bouquin saisissant et partial sur l'ambiguïté morale entre auteur et sujet, chacun essayant de se nourrir de l'autre.
"L'ambiguïté morale du journalisme n'est pas dans les écrits mais dans les relations humaines qui en sont à l'origine ; et ces relations humaines sont invariablement et inévitablement déséquilibrées."
Mais ce sont souvent les mêmes qui se repaissent des restes de l'autre.
Un bon début, au fait.
Qu'est ce qu'un naufrage avec 200 journalistes à bord ?
Un bon début.
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