dimanche 29 octobre 2017


"Voici un conte : Un serpent affamé s'approche d'un oisillon, l'oisillon voit venir le serpent. Pourquoi l'oisillon ne fuit-il pas ? 
Parce qu'il veut connaître la fin du conte."

***

Mbote ! les aminches. 

Il est parfois curieux de constater comment certains détails peuvent impacter les ressentis d'une lecture. 

De Albert Sanchez Pinol, j'avais déjà lu un roman réellement impressionnant de maîtrise : 






Sur un îlot perdu de l'Atlantique sud, deux hommes barricadés dans un phare repoussent les assauts de créatures à la peau froide. 

Ils sont frères par la seule force de la mitraille, tant l'extravagante culture humaniste de l'un le dispute au pragmatisme obtus de l'autre. 

Mais une sirène aux yeux d'opale ébranle leur solidarité belliqueuse.






Ce livre est l'un des plus remarquables que j'ai lu ces dernières années. D'une plume ciselée, érotique, la lecture nous laisse abasourdi, quasi pantelant. 

Je n'ai plus rien lu d'autres de cet auteur espagnol (ou catalan, faites votre choix, je ne veux pas d'ennui avec ceux qui croient leurs cailloux plus jolis que ceux du voisin), jusqu'à peu.


1914. L'Empire britannique est à son zénith et Londres s'apprête à subir les foudres du Kaiser. 

Thommy Thomson œuvre dans l'ombre pour un plumitif mégalomane quand un avocat lui propose un marché insolite : écrire l'histoire de son client, Marcus Garvey, un gitan accusé d'avoir assassiné au Congo les fils du duc qu'il servait. 

Publié avant le procès, le récit concourt par son immense succès à sauver de la potence celui que tout accuse. Il met au jour le détail de l'expédition enragée de deux aristocrates qui s'enfoncent dans la jungle congolaise jusqu'aux confins du monde, aiguillonnés par la fièvre de l'or.

Avec Marcus, ils vont mener la première guerre verticale de l'histoire.

Voilà me disais je l'occasion de lire le premier roman de cet écrivain surdoué, savourer, d'une certaine façon, le prequel de LA PEAU FROIDE. 

Et effectivement PANDORE AU CONGO en porte les prémisses. LA PEAU FROIDE est l'aboutissement de PANDORE AU CONGO. Plus radical dans son écriture, les scène de sexe y sont pleinement et magistralement assumées, la dimension fantastique y est complètement avérée, les saynètes humoristiques ont été évacuées pour se concentrer sur l'intrigue tragiquement fiévreuse.

Sauf que... 

C'est l'inverse ! 

Je n'ai pas cru que LA PEAU FROIDE était un premier roman. PANDORE AU CONGO a été écrit après LA PEAU FROIDE et mon analyse est hors sujet. 

Les deux romans ne sont aucunement liés, à moins d'imaginer que Albert Sanchez Pinol n'ait voulu s'accorder une récréation, une pause plus légère après l’écrasante réussite de son premier opus. 

Mais non... ce n'est pas cela non plus car si le roman démarre sur une note satirique, un ton décalé avec la "guerre" (hilarante) que se livrent le narrateur Thommy Thompson et Marie Antoinette la tortue sans carapace (!), le livre adopte ensuite une musicalité différente, plus sombre.

La fièvre de l'or s'empare des Lord anglais, creusant la terre, ils font bientôt face à des Morlocks venus d'outre sol. Les sang bleus se révèlent d'une petitesse d'âme sans limite dans le nanisme et un serviteur pourrait se révéler le dernier rempart de l'humanité, son sauveur. 

PANDORE AU CONGO est une ode à la littérature, une écriture cristalline, précise, étoffée, de cette étoffe dont on fait les songes éveillés. 

Et l'Afrique bien sûr...

"L'Afrique nous montre qu'en Angleterre tout est plus faible ; plus léger ; comme si nous ; les habitants du nord ; nous vivions avec des sens de fantômes ; indolents et stériles , le Congo en revanche , amplifiait la puissance du monde . La lumière ne tombait pas du ciel ; elle provenait de toute part ; les odeurs étaient fétides ou splendides ; sans nuance intermédiaire ."

Ce continent fantasmé, impensé, inconnu où tout est possible et surtout permis ! Les deux frères et Marcus vont donc  mener la première guerre verticale de l'histoire contre une armée insolite surgie des entrailles de la terre. Par convoitise pour une de ces créatures, les hommes ouvrent la boîte de Pandore et les intenses tropiques débrident ceux qui ont le malheur de se trouver sur place. 

Le dénouement nous retourne, nous abandonne amers et désabusés ; la littérature se doit-elle de refléter une vérité qu'elle qu'elle soit ou peut-elle véhiculer des chimères si belles soient-elles ? Pinol se garde de bien de répondre et on se cogne un peu de la question, réflexion faite. 

Si LA PEAU FROIDE nous laissait le gout métallique des embruns sur la langue, PANDORE AU CONGO nous colle une moiteur salée sur l'épiderme. 

La peau chaude en quelque sorte.

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire