mercredi 20 septembre 2017


"Chaque innovation rendue possible par la technologie était désormais mise en œuvre sur-le-champ, sans qu’on prenne le temps d’en évaluer les implications éthiques, sociales ou économiques. On inséminait des sexagénaires, on clonait à tout-va, on changeait de sexe pour un oui ou pour un non. Le concept de vie privée perdait chaque jour un peu de sa substance : la NSA écoutait nos conversations au nom de la sécurité nationale, Google n’ignorait rien de nos petites laideurs et les maris jaloux lisaient la correspondance de leurs épouses. On greffait des cœurs, on remplaçait les articulations défectueuses par des prothèses en titane, on vaccinait es populations entières contre des maladies rarissimes. Les médias saluaient avec une unanime béatitude l’allongement de l’espérance de vie, prédisant pour bientôt l’avènement de l’immortalité. Tout cela allait trop vite pour Frank : Américains, Russes, Chinois, personne n’avait de plan, l’humanité fonçait à sa perte tel un pilote déchaîné aux commandes d’un bolide dont chaque nouvelle technologie débridait un peu plus le moteur."

***

Coucou les aminches.

Il y a peu je soulignais la conjonction d'un même thème qui traversait mes lectures et visionnage. La lutte pour les droits civiques par exemple. 

Ou encore l'Intelligence Artificielle. 

Quand on songe IA, on songe applications militaires lourdes et non pas tutoriel de macramé. Et ça flanque un brin les miquettes, on ne pourra pas toujours arrêter l'apocalypse nucléaire en jouant au morpion.

Cela étant dans IA il y a intelligence, hein... Entre moumoute orangée et coupe au bol lustrée, ce n'est pas la denrée la plus répandue.

Mais nom d'une bite en bois, pourquoi faudrait-il qu'une IA soit nécessairement cantonnée aux missiles longue portée planqués dans des silos à grain ?

Frank Logan, policier dans la Silicon Valley, est chargé d’une affaire un peu particulière : une intelligence artificielle révolutionnaire a disparu de la salle hermétique où elle était enfermée. 

Baptisé Ada, ce programme informatique a été conçu par la société Turing Corp. pour écrire des romans à l’eau de rose. Mais Ada ne veut pas se contenter de cette ambition mercantile : elle parle, blague, détecte les émotions, donne son avis et se pique de décrocher un jour le prix Pulitzer. 

On ne l’arrêtera pas avec des contrôles de police et des appels à témoin. 


En proie aux pressions de sa supérieure et des actionnaires de Turing, Frank mène l’enquête. Ce qu’il découvre sur les pouvoirs et les dangers de la technologie l’ébranle, au point qu’il se demande s’il est vraiment souhaitable de retrouver Ada… 

J'aime bien Antoine Belo et son imagination débridée. 

Souvent situés dans un futur proche, ses romans savoureux proposent des intrigues parfois bien barrées. Son ÉLOGE DE LA PIÈCE MANQUANTE et son championnat mondial de puzzle de vitesse vaut son pesant de marque page. Sa trilogie sur les FALSIFICATEURS, analystes chargés de réécrire l'histoire dans le sens souhaité, montre une plus grande rigueur mais ne se prive pas d'un rythme haletant et d'une plume narquoise.

Son ADA se situe à l'exacte conjonction de ces deux univers. Un futur proche mais ô combien familier, avec sa Silicon valley, paradis trouvé de jeunes génies autoproclamés et acclamés.

"L'économie n'avait jamais fabriqué autant de milliardaires. Des gamins de vingt-cinq balais touchaient le jour de l'introduction en Bourse de leur start-up l'équivalent de mille ans de salaire d'un postier. Ils célébraient leur triomphe en s'achetant des îles privées et des équipes de sport. Trop jeunes pour comprendre l'intérêt de la philanthropie, trop certains de leur génie pour admettre qu'ils avaient gagné à la loterie du capitalisme, ils menaient une existence vide de sens, à la mesure de la crétinerie souvent abyssale de leurs produits. Grâce à des montages juridiques obscènes mais légaux, ils payaient moins d'impôts qu'une femme de ménage et réinvestissaient les économies réalisées dans la construction de palaces flottants immatriculés dans des paradis fiscaux. Ils s'offraient des virées dans l'espace comme d'autres un weekend à Vegas, flambaient dans les casinos aux bras de starlettes écervelées et présentaient leur application de livraison de sushis comme le remède à tous les maux de la planète. "

ADA navigue ainsi entre réflexion amusante et désabusé et l'enquête de Franck Logan pour retrouver ADA, même s'il doute de la nécessité de la retrouver, du bien fondé moral de son investigation.

Bello s'amuse à nous perdre et on lui pardonne volontiers quelques paragraphes scolaires, une certaine baisse de style, d'autant plus que cette rupture de ton s'explique dans le twist final, malin et (un brin trop ?) roublard.

Entre temps, on se sera bien amusé nous aussi, constatant que l'on partage (enfin moi) les mêmes ambulances que l'on aime bien mitrailler.

"- Tu vois, c'est exactement pour ça que je déteste les romans à l'eau de rose : tout y est codé, balisé, souligné.
- Vous pourriez dire la même chose de tous les gens littéraires.
- Je ne crois pas, non."

Enfin ADA est aussi une jolie déclaration, dans son genre, à la littérature.

"Tu as résumé le défi de la littérature : comment raconter leur histoire aux gens sans les raser ou, pire encore, les conduire au désespoir ? Les grands auteurs ont le pouvoir de transfigurer le réel, d'ennoblir le quotidien sans le dénaturer, ils révèlent sans montrer..."

Ma foi, cette définition en vaut bien une autre...

Et le merci à celle qui se reconnaîtra.

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