dimanche 2 juillet 2017


"Aucun ne semblait avoir conscience du monstre qui marchait parmi eux."

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Salutations les filles.

Une tendance lourde se dégage parmi le polar ces derniers temps. 

Une martingale éditoriale qui fait tourner les rotatives  : le polar domestique. Le diable est dans les détails et dans la chambre à coucher.

S’appuyant souvent sur une femme blessée (mais pas toujours), légèrement au bout du rouleau (de Sopalin pour filer la métaphore), ces livres déroulent des intrigues millimétrées et tendent à privilégier l'intime au spectaculaire, délaissant les monstres froids, les cerveaux criminels hors normes, Hannibal Lecter et consorts. 

Souvent écrits par des femmes (mais pas que), ces polars domestiques trustent les meilleures ventes : LES APPARENCES de Gillian Flynn (magistralement adaptée en GONE GIRL par David Fincher), LA FILLE DU TRAIN de Paula Hawkins etc. Autant de coups d'imprimerie. 

Bien.

Constatant cette tendance, j'ai décidé de vous parler de : 

Un « cadavre » recomposé à partir de six victimes démembrées et assemblées par des points de suture a été découvert par la police. La presse l'a aussitôt baptisé Ragdoll, la poupée de chiffon.

Tout juste réintégré à la Metropolitan Police de Londres, l'inspecteur « Wolf » Fawkes dirige l'enquête sur cette effroyable affaire, assisté par son ancienne coéquipière, l'inspecteur Baxter.

Chaque minute compte, d'autant que le tueur s'amuse à narguer les forces de l'ordre : il a diffusé une liste de six personnes, assortie des dates auxquelles il a prévu de les assassiner.

Le dernier nom est celui de Wolf.


L'antithèse du polar domestique. Aucune des cases n'est cochée. Un tueur en série machiavélique qui se joue des forces de l'ordre. Un policier célibataire. Des femmes fortes qui se contrefoutent du rouleau de Sopalin comme de mon dernier pansement.

Une sorte de polar vintage, à rebours du flot continu du polar contemporain. L'intrigue se déroule à Londres, non dans une petite ville moyenne de Scandinavie, du Sussex ou une banlieue wasp étasunienne.

Il n'empêche. Dans la catégorie Page Turner, se pose là RAGDOLL, la grosse bonne pioche bien juteuse. 

Il répond point par point au cahier des charges. 

Un antihéros charismatique, au passif bien chargé : 

À l'issue de son procès, Naguib Khalid accusé d'être le serial-killer connu sous le nom du Tueur Crématiste, tueur de 27 enfants en 27 jours se voit reconnu non coupable. L'Inspecteur William Oliver Layton-Fawkes (Wolf) ayant travaillé à l'arrestation de ce monstre voit rouge et décide de se substituer à la justice. Se précipitant sur Naguib Khalid, il lui assène des coups et l'aurait tué si d'autres policiers n'étaient pas intervenus. Suite à cet acte, il est interné une année durant dans un hôpital psychiatrique, le St Ann's Hospital où il apprend quelques mois plus tard l'arrestation de Naguib Khalid pour un nouveau meurtre.

Rôle en or pour un acteur viril de bon calibre (Hugh Jackman en contre emploi ou Jude Law pourquoi pas...) pour la mise en péloche qui ne saurait tarder. 

Une intrigue scalpélisée, nanawesque bien sûr mais juste ce qu'il faut pour que la sauce (bolognaise, rouge avec des morceaux dedans) prenne : 

Quatre années ont passé, l'inspecteur est réintégré dans ses fonctions et voilà qu'il est appelé sur une scène de crime à quelques pas de chez lui où est découvert un corps comportant des parties de six victimes et dont la tête est celle de Naguib Khalid. Pour apporter encore plus d'horreur à la scène, le cadavre pointe de son doigt la fenêtre de l'appartement de Wolf et, le serial killer annonce via une liste ses six prochains meurtres prévus avec nom et date prévue dont le dernier n'est autre que… l'inspecteur lui-même. Une course contre la montre commence pour les membres du Homicide and Serious Crime qui en plus d'identifier l'identité des 6 morceaux de cadavres, leur lien … doivent en plus se charger de protéger les autres victimes...

Le tout soutenu par une plume narquoise, ironique, distanciée, qui semble même parfois se foutre du bouzin ambiant. 

"- Vous savez, répondit Wolf qui s'exprimait pour la première fois depuis des semaines - le timbre de sa voix lui parut d'ailleurs étrange-, j'apprécie votre opinion, mais je l'aurais estimée à sa juste mesure si je ne vous avais pas vu toute la matinée en train de marmonner au-dessus d'un bol de céréales.
- Un homme qui croit en Dieu doit savoir faire la différence entre marmonner et prier, s'offensa Joel.
- Et un homme sain d'esprit doit savoir faire la différence entre un bol de Coco Pops et le dieu qu'il vénère, ironisa Wolf."

Un méchant bien bien sadique, joueur d'échec hors pair, faisant passer Deep Blue pour une brouette sans roue. 

C'était sans compter sur l'intelligence du serial killer qui semble anticiper chacun de leurs gestes et fait preuve d'ingéniosité...

Ajoutons à cela des persos secondaires bien campées (notamment l’inspectrice Ann Baxter, ami/amante de Wolf, géniale), le tout arrosée d'une saine misanthropie assumée. RAGDOLL ne témoigne pas d'une foi en l'humanité, de la conviction du progrès en marche. Daniel Cole semble aspirer à un astéroïde ventru venant nous rejouer la tectonique des plaques, version définitive.

Les cibles convenues sont bien présentes. 

La justice : 

"Perchée à la pointe du dôme d'Old Bailey, la statue de la Justice ne lui apparaissait plus désormais comme un symbole de puissance et d'intégrité, mais pour ce qu'elle était vraiment : une femme désespérée ayant perdu toutes ses illusions, prête à sauter dans le vide et à s'écraser sur le sol."

La foules avides et la presse les alimentant : 

... et, sur l'engouement médiatique sinistre pour Ragdoll (nom donné au serial killer) où le public semble prendre un plaisir morbide à suivre le compte à rebours de chacune des futures victimes…

RAGDOLL déroule son vademecum du thriller sanglant et haletant et le fait bien, plus que bien. La résolution finale tient bon la crampe, juste à la limite du nanawesque et de la légende urbaine, et nous promet une suite prometteuse sans cliffhanger foireux.

Certes, on a lu mieux avant, mais RAGDOLL  se situe dans la fourchette haute et nous rappelle cet adage implacable : le loup on le voit venir, un loup déguisé en agneau en revanche...

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