mardi 30 mai 2017


"- Vous ne pouvez pas faire ça sir Walter.
- Quoi donc ?
-Tordre la vérité dans tous les sens. Au bout d'un moment elle va finir par casser."

***

Salutation les aminches.


il y a peu, patientant dans une morne salle d'attente, je constatais avec consternation l'absence de ma liseuse dans ma besace. 

Damned et couilles molles !

Mon regard se portait alors sur la table basse où traînaient plusieurs news magazines défraîchis et datant de plusieurs mois, où je pouvais constater les talents Pythiesques des plumitifs :

"Pourquoi François Fillon va gagner !" "La bulle Macron va éclater", ce genre de choses...

Je me saisissais du plus ancien et tombais sur ce portrait :


Yann Moix. 

Auteur et réalisateur de PODIUM (et de CINÉMAN itou... L'une des plus éclatante bousasses du septième art hexagonal de ces dernières années).

Personne n'a mis au courant Moix qu'il n'était pas la réincarnation du vieil Hugo ni le digne héritier de Kubrick.

Si je devais qualifier ce que je retirais de ma lecture de cet entretien de plusieurs pages, ce serait... La morgue.

Je ne m'aventurerai pas à qualifier l'oeuvre littéraire de Moix, je ne l'ai pas lue, aucun de ses bouquins ; mais une chose est certaine : je n'en ai aucune envie. 

Tout le contraire en somme de : 


Jean Pierre Ohl est un écrivain moins connu, ne bénéficiant d'aucun rond de serviette dans une émission de vacuité télévisuelle bien établie, mais bien plus réjouissant que le Moi(si)x précédemment cité, j'en fais le pari.

Je connais un peu Jean Pierre et c'est un homme délicieux, d'une grande gentillesse, qui en est déjà tout de même à son cinquième livre et quatrième roman.

Printemps 1824 : à Darlington, dans le nord de l’Angleterre, l’ingénieur George Stephenson construit la première ligne de chemin de fer. 

En drainant un étang, ses ouvriers découvrent un squelette qui pourrait être celui de lady Beresford, disparue vingt ans plus tôt dans des circonstances mystérieuses. 

Nommé bien malgré lui juge de paix, le notaire Edward Bailey, disciple de Byron et grand amateur de madère, tente de démêler un imbroglio mêlant rumeurs, légendes et polémiques autour du projet de ligne ferroviaire. 



Pendant ce temps, à Londres, un étrange livre retrouvé dans la prison pour dettes de la Marshalsea arrive entre les mains de l’avocat Leonard Vholes. Sa page de garde porte le sceau des Beresford. 

Il n’en faut pas plus pour que Vholes dévide le fil de ses souvenirs, apportant au mystère un nouvel éclairage… 

Cela peut être contrariant de connaître personnellement (ne serait ce que légèrement) un auteur et d'en apprécier autant l'homme que la plume. On tremble toujours un brin : et si son dernier livre était moins réussi, voire foiré ?

Aucune inquiétude : JP c'est comme les impôts : on peut toujours compter dessus !

Une fois encore, son dernier opus est une petite merveille, un précis merveilleux, de construction implacable, de poésie charpentée et de romanesque documenté. 

Un livre où une phrase telle que...

"Je pense en effet que les gros orteils, en certaines circonstances précises, peuvent démontrer un fort potentiel comique."

... Peut s'insérer souplement, sans aspérités, dans un texte travaillé et spontané tout à la fois ; eh bien un tel livre promet beaucoup et tient tout.

Jean Pierre Ohl est un grand styliste, il possède une plume précise, imagée dont on ne sent à aucun moment la sueur et le dictionnaire de synonymes. Jean Pierre aime les mots et nous les offre : 

"Les mots se parlent entre eux, pensa Charley. Il y a un langage à l'intérieur du langage, comme une ville souterraine qui doublerait de ses tunnels et des passages la ville visible"

Le Charley en question est le tout jeune Charles Dickens, marotte (le mot est faible mais bon...) de l'auteur qui a déjà commis une biographie (épatante) du grand auteur anglais.

Cet enfant nous sert de Charron dans ce dédale invraisemblable qu'est la prison de Marshalsea, infâme bouge où se retrouvent les débiteurs qui ne peuvent payer leurs dettes. Cercle vicieux du cercle des enfers.

LE CHEMIN DU DIABLE est un trépied. 

L'un de ses socles est cette plume fastueuse. Un autre est ses personnages et les lieux où ils évoluent. Que ce soit Georges Stephenson, ingénieur humaniste, apportant le rail et le "progrès" (très relatifs quant aux masses laborieuses qui les posent, ces rails), le notaire Edward Bailey, bougre fort sympathique, un poil pathétique mais plus grand que ce qu'il laisse présager.

Et puis Snegg, l’inénarrable  Snegg, imperturbable clerc, capable de sentences sans frémir, cette fine observation sur le potentiel comique sur les gros orteils ou encore : 

"Je dirais même plus Monsieur : peut-on accorder foi aux propos d'un rocking chair !"

Ah Snegg... Il fera date, lui qui allie les prouesses intellectuelles d'un Holmes provincial à l'humour pince sans rire d'un Jeeves sans sourcil.

Tous ces protagonistes, admirablement campés, se débattent dans une intrigue sinueuse, haletante et foutrement aveuglante de clarté. 

Jouant malicieusement avec les codes du roman gothique, Jean Pierre assoit définitivement son tabouret fictif avec son troisième pied fermement planté dans la terre glaise anglaise : une construction démoniaque, diablement romanesque, délaissant le nombrilisme égotiste qui pollue trop souvent, à mon sens, la production littéraire frenchie.

JP nous cadence un récit trépident et profond. 

Ce début de siècle voit l'orée de la révolution industrielle et son libéralisme bientôt triomphant. 

"La savoir faire de l'homme est sacré. Son prix doit être gravé dans le marbre. Mais aujourd'hui c'est le marché qui fixe le prix ! Si un homme a faim, on le paiera moins cher que s'il est repu. Si deux artisans proposent le même service, on invoquera la concurrence pour leur faire baisser leur prix. Aujourd'hui on n'achète plus seulement la marchandise, on achète aussi l'homme, et au plus bas prix possible !"

On ressort émerveillé de cette lecture et on se reprend à songer à cette réflexion du jeune Dickens :

"Les mots se parlent entre eux, pensa Charley. Il y a un langage à l'intérieur du langage, comme une ville souterraine qui doublerait de ses tunnels et des passages la ville visible"

Et sa suite : 

"Si l'on connait le plan de ce labyrinthe alors on peut surgir à tout moment dans l'esprit des gens et prendre le contrôle".

Si c'est Jean Pierre, ok, pas de soucis, je lui laisse bien volontiers le volant.

Si c'est Yann Moix ?

Bah... Je ne m'en fais pas trop, il doit encore chercher la sortie du labyrinthe.

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