jeudi 23 mars 2017


"- Un plus long voyage ?
- Oui, et je projetais de le faire... en solitaire.
- En solitaire ?
- Oui.
- Alors il vous faut connaître un proverbe que nous avons au Sénégal." Aminata se leva. "La solitude, ce n'est jamais bon. Mais si tu ne peux pas faire autrement, alors partage-la au moins avec un ami."

***

"- Et bien, qu'en pensez-vous ?
L'universitaire chenu reposa le livre.
- Amusant mais totalement grotesque !
- Vraiment..?
- Bien sûr. penser que l'homme, face à sa fin prochaine, s'affranchira de son intérêt particulier pour penser au bien commun... Quelle ineptie !
Là, j'imagine assez le vieil homme cogner le sol au moyen d'une canne au pommeau argenté, avec une vigueur inattendue.
- Croyez moi jeune homme : la survie passera toujours avant la solidarité.
- Pourquoi les opposer ? Et puis, c'est assez contradictoire quand on y songe.
- Comment cela ?
- Selon votre Dieu tutélaire Adam Smith, la recherche de l'intérêt particulier aboutit nécessairement à l'intérêt général.
- Et qui vous dit que la solidarité est synonyme d'intérêt général ? ne vaudrait-il mieux pas une purge salutaire ?
- Ah... 'Videmment... Partant de là...
- Et puis jeune homme, franchement... Comment pourrais-je avoir un avis sur ce livre ? Je suis mort je vous rappelle."

Bien le bonjour les aminches.

Très bien.

Milton Friedman est mort. 

Il ne peut donc pas avoir d'avis sur ce roman : 


À Saint-Piran, en Cornouailles, on se souvient encore du jour où le jeune homme nu a été rejeté sur la plage par l’océan. Une entrée en scène des plus originales. 

Les villageois se portent bien sûr à son secours : l’ineffable Dr Books, le glaneur Kenny Kennett, Demelza, romancière à l’eau de rose... ou encore la pimpante épouse du vicaire. Sans oublier la baleine, à l’arrière-plan, qui ne veut plus quitter la côte. 

Personne ne sait alors que Joe Haak a fui la City, terrorisé à l’idée que le programme de prédictions qu’il a inventé n’entraîne l’effondrement de l’économie mondiale. Avec ce nouveau venu, un sentiment de fin du monde vient contrarier la quiétude de Saint-Piran...

La fin du monde les filles.

L'ultime effondrement ! La civilisation qui part en coudes. Les iphones servent à caler les commodes. Plus de tweets, plus d'essence, plus de touristes et plus de librairies itou...

La merde quoi !

Cette vision riante d'un avenir en fleur a alimenté un certains nombres d’œuvre, littéraires avec le phénoménal LA ROUTE de Cormac McCarthy par exemple.

Irrigué moult films, séries, WALKING DEAD hein... Au hasard. Dont je félicite au passage les spécialistes effets spéciaux pour cette incrustation de toute laideur : 



Magnifique.

Qui a laissé le bambin jouer avec la palette graphique ?

Ok rien à voir avec le steak (tartare) mais quand on a une nouvelle tronche de turc, faut pas se priver. 

J'en étais où moi...

Oui. 

La Fin.

Pardon.

La FIN !!!!!

Et si vous remarquez bien... Il est assez rare qu'un franc sourire nous tire les commissures vers le haut à la lecture/vision/écoute de ces œuvres apocalyptiques.

John Ironmonger...



... Innove et pond un livre charmant, une comédie anglaise sur fond de catastrophe  financière, pénurie des ressources etc.

Quand Kiervel rencontre De Kersauson, mais à l'anglaise. Ça change tout. 

John n'évite pas tout à fait un manichéisme romantique, du moins le croit-on, opposant le bon sens du rural rugueux à l'avidité sans frein de la City. Et puis, on se rend compte, au fil des pages, que tout cela est un peu plus compliqué que nos préconçus. 

Alternant la peinture pittoresque des locaux de Saint Piran et les mécanismes eschato-économiques menant à l'écroulement brutal de nos sociétés : 

"Avez-vous déjà joué à ce jeu qui consiste à bâtir une tour avec des blocs de bois ? J'y joue avec ma petite-fille. Chaque joueur, l'un après l'autre, retire ensuite une pièce de l'édifice." Il mima l'action délicate. "Ce qui est surprenant, c'est que la tour reste très longtemps debout. Elle est exactement comme l'économie, voyez-vous - résiliente. Chaque niveau comporte des éléments redondants mais arrive le moment où on dégage un bloc - une petite pièce inoffensive - et bam ! l'édifice tout entier s'écroule." Il mima la catastrophe. "La tour ne décline pas lentement, voyez-vous. Elle ne s'affaisse pas, elle ne devient pas un modèle réduit... Non. Elle s'effondre. Bam." Kaufman considéra longuement Joe. "Cela pourrait-il nous arriver ? Cela pourrait-il arriver à notre société ? A notre civilisation ?"

Ironmonger nous livre un livre délicieux et profond. Porté par une plume alerte, incisive et quelque peu mélancolique, on passe du rire aux perles salées aux coins de nos paupières. 

Une ode aux petits, aux trous perdus, un peu forcé peut-être mais qui fait plaisir à lire.

"Nous, nous ne sommes guère plus qu'un petit bouton au bout du bout du plus riquiqui des orteils, leur répondait Martha. Nous, personne ne nous rend visite, personne ne nous voir, ni même ne pense à nous". Elle fixait les enfants, du plus âgé au plus jeune, du regard le plus sévère dont elle était capable, puis laissait éclater un immense sourire. "Et ça nous convient très bien".

L'on suit avec un plaisir grandissant la rédemption d'un analyste financier qui fait l'apprentissage du bonheur, sauvé (deux fois) par une baleine ; ramené à la vie par les hommes et les femmes d'un petit village des Cornouailles, qui au lieu de se sauter à la gorge pour la dernière goutte d'eau, font le pari d'une mise en commun intelligente. 

Un bon coup dans les baloches au survivalisme burné, mode "faut s'armer et buter tout ce qui se présente" (nan je ne parle pas forcément de Rick Grimes).

Un vigoureux frontal au néo libéralisme triomphant.

Dans ta face Adam Smith !

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