jeudi 17 novembre 2016


"Plus les cibles pensent contrôler les choses, plus elles se font facilement manipuler."

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Bien le bonjour les aminches. 

Reprenons, voulez-vous, notre réhabilitation de ce genre littéraire légèrement sous-évalué : la fantasy.

Nan ! La fantasy n'est pas forcément aussi palpitante qu'une après midi télévisuelle devant Public Sénat.

Nan ! La fantasy ce ne sont pas fatalement des personnages tout d'un bloc, sans nuances : l'elfe est hautain et outrageusement beau, le nain est petit et paillard, le sorcier est vieux et pontifiant...

Nan ! La fantasy ce n'est pas obligatoirement Tolkien.


Dans la ville de Camorr, les « Gens Biens », les criminels de la ville, sont sous la protection du capa Barsavi qui fait figure de parrain. 

Les Salauds Gentilshommes, une petite bande dirigée d'abord par Chains, puis par Locke Lamora (surnommé la Ronce de Camorr), s'attaque aux plus grosses proies, les nobles, en les escroquant, malgré la paix secrète normalement en vigueur entre le capa et le duc de Camorr. 

On découvre alors comment Locke et ses amis vont être plongés, après l'arrivée en ville du Roi Gris, mystérieux assassin de voleurs, dans une sombre aventure…

Oui ! On est là bien loin de ce brave vieux John Ronald Ruel.

Si l'on devait convoquer les mânes d'un glorieux ancêtre Alexandre Dumas f'rait bien la jointure. Car cette trilogie dégage un furieux fumet de capes et épées, estoc et botte secrète ; alors même que son principal protagoniste est un bien piètre bretteur.

Là ou Papy Tolkien s'attarde (bien trop) sur la description de son monstre monde, Scott Lynch le survole tout en apportant ci et là quelques touches de couleurs pour finir par composer un tableau, d'abord impressionniste pour finir réaliste.



Le premier tome se déroule à Camorr, principale ville de cet univers fantastique qui nous épargne (pour l'instant) le bestiaire obligé de la Fantasy tradi... Ce ne sont là que des bipèdes hominidés qui se débattent dans une violence quotidienne, où la mortalité avoisine celle d'un Afro-Américain égaré en un relais routier du fin fond de l'Alabama.

"Aucun Camorrien n’aurait pu désirer adéquation plus parfaite entre la vue et l’odeur du Chaudron. 
Si la Lie était rongée par la pauvreté, si les Traquenards jouissaient de peu de respectabilité, si la Mara Camorrazza était ouvertement dangereuse et si Pleutcendres était sale et partait en pièces, le Chaudron était tout cela, avec en sus une prédilection pour le désespoir humain. 
Son arôme ressemblait à celui d’un tonnelet de mauvaise bière que l’on aurait renversé dans la réserve d’un croque-mort un jour de canicule."

On y a résolu la contradiction intrinsèque de la démocratie participative, il n'y en a pas. Nobles, roturiers, riches et pauvres se soumettent à un ordre tutélaire ancestral, et les "gens biens" font les poches de la classe moyenne. 

"À Camorr, on raconte que la différence entre le commerce honnête et le commerce malhonnête réside dans le fait que lorsqu’un homme d’affaire ruine un concurrent, il n’a pas la courtoisie de lui trancher la gorge pour conclure."

A l'exception de nos compères, les Salauds Gentilshommes, qui s'attaquent à la Noblesse la plus fortunée. On pourrait les définir comme des mi-Robin Hood. Ils prennent aux riches ok mais ignorent soigneusement la seconde partie du slogan de campagne : ils ne refilent rien aux pauvres.

Pour le rêve marxiste du grand soir de la redistribution, on repassera. 

Cette escouade d'escrocs charmants et bondissants sont menés par Locke Lamora. Personnage génial, contradictoire, tout à la fois profondément agaçant par son égocentrisme forcené, déroutant par son intelligence aiguë et son sens de l'improvisation proprement prodigieux et attachant par sa conscience qui vient le tarauder et finit par lui faire revêtir le costume inconfortable du sauveur malgré lui...

C'est la récurrence de ce livre : les arnaques sophistiquées, inventives, échevelées de Locke se trouvent toujours compromises par des événements extérieures qui vont le mettre en fâcheuse posture...

"Locke se prit la tête à deux mains et soupira.
- Je ne m'attends pas à ce que la vie ait un sens, dit-il au bout d'un certain temps, mais je serais quand même heureux qu'elle cesse de m'envoyer de grands coups de pied dans les parties intimes."

Locke n'est pas le seul dans ces mésaventures. Il est impeccablement secondé par son frère de larcin Jean Tannen, colosse ventru expert en close combat, une sorte de Frère Tuck en mode ninja. Désarmant de gentillesse mais n'omettant jamais de réduire des os en poudre quand le sens du business bien compris l’exige.  

Le soin apporté à ces deux personnages est le gros gros plus de cette cavalcade trépidante imaginée par Scott Lynch. Plus que les rebondissements légions, plus que la structure narrative maligne mêlant présent et flash-back dans un mouvement incessant, ce sont le devenir, les joies et les peines de nos deux compères qui nous cadenassent aux pages des ces trois pavés juteux.

Et la plume ! "Par les couilles desséchées du Gardien Véreux !"  alerte, crue, avec une science du dialogue hilarant...

"- Je ne pouvais plus marcher et j’étais comme moribond, alors ils m’ont laissé derrière eux… moi et plein d’autres. Aux bons soins de quelques prêtres itinérants de Perelandro.
- Mais vous n’êtes pas mort.
- C’est fort astucieux de déduire ça à partir d’indices si maigres et après avoir vécu avec moi pendant trois ans."

... Elle nous transporte dans un monde riche, dans trois univers bien distincts mais féconds : 







La mafia et l'arnaque dans le premier volume, le plus faible de la série à mon sens.

Faiblesse toute relative...




Hissez haut moussaillon ! 

La piraterie, la filouterie sur mers traîtresses. 

Vision toute personnelle de l'auteur mais finalement qui touche au plus juste : 

"Je crois que la piraterie, c’est un peu comme une nuit de beuverie. Si tu veux rester jusqu’à la fin, tu en paies le prix le lendemain."

Haletant et virevoltant, le plus fun et kiffant de la série, l'Aventure, la vraie !



Le plus sombre des trois, centré sur la politique, la magie et le théâtre...

Ce troisième tome se penchent sur les grands mystères qui hantent l'univers de nos Salauds gentilshommes.

Que sont devenus la race des Eldren, peuplade magique, mythique, aux pouvoirs surpuissants qui ont édifiés des virtuosités architecturales fabuleuses en Verre d'Antan ? Les Eldren qui qui se sont évaporés. Ne laissant que des monuments défiant la gravité et le sens commun...

Et, par la bite pendante de Pérelandro !, qui est vraiment Locke Lamora ?


Cette première trilogie (d'autres doivent suivre ) fait irrésistiblement songer au phénoménal GAGNER LA GUERRE de Jean Philippe Jaworski pour ce côté spadassin épée au fourreau, ce sens du tempo, ce même univers merveilleux et glauque tout à la fois, étrangement et immédiatement accessible

Mais là où le Don Buenovito se distinguait par son adresse à la rapière et son aptitude à pourfendre ses adversaires, Locke et Jean s'extirpent de la bouse calamiteuse dans laquelle ils ne manquent jamais de patauger jusqu'aux chausses, par leur seule ingéniosité.

"Je n’ai pas la moindre putain d’idée de ce qu’on va faire. Tous mes meilleurs plans commencent exactement comme ça. (…) On va faire ce qu’on fait toujours : attendre l’ouverture, foncer, et leur mettre au cul."

Si vous souhaitez voir l'intelligence triompher de la force brute... 

Si si vous pensez qu'une morale, certes élastique et aléatoire, a quand même le mérite d'exister face à la totale absence d'un quelconque scrupule infinitésimal... 

Si vous n'aviez aucune idée de ce que pourrait donner Arsène Lupin en cape de velours dans une Venise fantasmée...

Si vous aimez entendre souffler le vent de l'aventure, trembler et rire parfois. 

Ces SALAUDS GENTILSHOMMES sont fait pour vous.

Ou je vous rembourse...

Avec votre propre argent que je vous aurai subtilisé préalablement.

'Videmment...

"Je ne vole que parce que ma chère vieille famille a besoin d'argent pour vivre.
Locke Lamora déclama cette réplique en levant son verre [...] Les autres commencèrent à le conspuer: 
-MENTEUR ! entonnèrent-ils.
-Je ne vole que parce que ce vilain monde ne me laisse pas mener d'honnêtes affaires! s'écria Calo en levant son verre.
-MENTEUR !
-Je ne vole que parce que je dois subvenir aux besoins de mon fainéant de frère jumeau, dont l'indolence a brisé le cœur de notre mère ! dit Galdo en donnant un coude de coude à Calo.
-MENTEUR !
-Je ne vole que parce qu'en ce moment j'ai de mauvaises fréquentations, déclara Jean.
-MENTEUR !
Finalement, ce fut au tour de Moucheron d'accomplir le rituel; le garçon leva son verre en tremblant légèrement et hurla:
-Je ne vole que parce que c'est trop marrant!
-SALAUD!"

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