mardi 1 novembre 2016


"Je commence à croire que tous les efforts que je fais pour prolonger ma vie vont bientôt être supplantés par la torture de la vivre."


***
Salutations les aminches.

Abordons aujourd'hui les préconçus. Les vecteurs que prend notre esprit pour tracer une ligne directrice qui s'éloigne souvent de la trajectoire réelle de la vraie vie. 

Prenons Donald Ray Pollock. Formidable écrivain dont j'ai déjà chroniqué le fabuleux et puissant premier roman LE DIABLE, TOUT LE TEMPS. En lisant ces pages denses, terribles, traumatisantes, je m'étais fait un portrait de l'auteur : jeune, un poil punk, gentiment grande gueule...

Patatroche... 

Déambulant l'autre jour au sein du salon du livre de poche de Gradignan à côté de Bordeaux, je vois une longue file d'attente pour une dédicace; genre promo sur des steaks au temps de l'URSS Brejnevienne : Maxime Chattam est dans la place. 

Et à deux place, une chaise vide et un petit carton posé devant : Donald Ray Pollock ! 

'Tin..! Je vais fissa acheter son recueil de nouvelles et j'attends le retour du bad boy, génie des lettres américaines. 

Et là : 



Un Monsieur de plus de soixante ans, le col boutonné jusqu'en haut, timide et d'une grande gentillesse. 

Je lui fais part de mon admiration et que je tiens son DIABLE, TOUT LE TEMPS comme l'un des plus grands livres de ces dix dernières années. Je le fais rougir. 

Merdàlors !

Je suis content : j'ai ma dédicace. 

Il ne me reste plus qu'à lire son livre : 



Knockemstiff existe vraiment. 

Les histoires racontées ici sont toutes liées à ce bourg : les visées de tante Joan sur un paumé défoncé à la Bactine, Daniel, le violeur de poupées, ou encore  la Fish Stick Girl, qui serait le meilleur plan de la région, si elle n’avait pas la manie de trimbaler des beignets de poisson pané au fond de son sac. 

Plus encore que les camionneurs speedés, les fondus de la fonte ou les papys Alzheimer qui peuplent Knockemstiff, c’est l’humanité atrocement comique de ces personnages qui dérange. 



Donald Ray Pollock est assurément la voix la plus singulière et la plus exaltante de la nouvelle littérature américaine depuis Larry Brown ou Chuck Palahniuk (lui-même fan de Pollock). 

Certaines de ses histoires tachent comme le péché ou le mauvais vin, et vous collent à la peau, même après plusieurs douches.

Mais là où Palahniuk (ou bien Easton Ellis) appuie sur la plume pour bien ouvrir les plaies et y laisser un fer rouge, Pollock apporte un baume, une humanité jamais démentie. 

Ce n'est pas de la tendresse non plus, parce que les Rednecks du cru, défoncé au mauvais alcool, pillant les boites à pharmacie du papa cancéreux pour s'enfiler des opiacées comme d'autres des Dragibus, ne provoquent pas un élan de sympathie, même modéré.

Seulement voilà, Pollock est du coin, il a vécu à Knockemstiff. Il a trimé comme un damné à l'usine de papier du trou. Il connait, Donald, les caravanes pourries sans chauffage qui servent de Home Sweet Home. Il sait cette fièvre irrépressible : se barrer. Par tous les moyens. 

Ils sont gratinés les gars du cru, buveur de bière, partisan acharné de l'arme à feu au poignet, casquette vissé sur le crâne et votant Trump les yeux fermés. Mais Don ne juge pas, il se contente de raconter ses histoires de misère, de trahisons, d'horizon fermé, où il ne fait pas bon de se démarquer. Faire preuve d'une sensibilité quelconque expose à un tabassage en règle, être homosexuel s'apparente à un suicide programmé. 

Il n'y a pas de recours à Knockemstiff, pas de lien familial salvateur : 

"Déjà, en temps normal, parler au vieux c’était comme d’être enfermé dans l’ascenseur avec un cannibale qu’on n’aurait pas nourri depuis trois jours."

Pas de femmes douces et tendres (éternel mythe machiste condescendant) : 

"Si elle dirigeait toutes les pines qui lui sont passées dessus pointées vers l’extérieur, elle ressemblerait à un foutu porc-épic."

Et pourtant...

Nulle lassitude à lire ces scènes désespérantes empreintes de poésies, de bouffonnerie, de situations picaresques ; on dévore littéralement ces nouvelles de pauvreté matérielle et intellectuelle et on se dit qu'on est ravi que Pollock ait pu s'extraire de Knockemstiff.

S'enfuir. repartir de zéro, leitmotiv grinçant et triste de KNOCKEMSTIFF : 

"Prenez moi, par exemple, Big Bernie Givens. Cinquante-six ans, gras que c’en est dégueulasse, et collé au sud de l’Ohio comme le sourire sur le cul d’un clown mort. Ma femme a la chair de poule chaque fois que je mentionne l’acte sexuel. Mon fils adulte mange tous les trucs morts qui s'accumulent sur les rebords de fenêtres. Je dois bien regarder cette putain de publicité vingt fois par jour. J’en rêve la nuit, de repartir à zéro"


Je ne suis pas très preneur de recueil de nouvelles mais KNOCKEMSTIFF se révèle être un distributeur de gifles littéraires mémorables qui nous laisse légèrement sonnés et avides de vie facile, de confort élémentaire, d'amitiés vraies et d'amours véritables...


"Thanks man, I appreciate that" m'a écrit Donald Ray Pollock.

Moi aussi Mec. 

Et pas qu'un peu...

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