"Un entomologiste racontait un jour cette histoire : Savez vous comment on fait pour détruire sans difficulté une société de termites ? Attrapez quelques soldats, mettez les dans une boîte et secouez les sans ménagement. Leurs petits corps mous et blancs sécréteront des phéromones de peur. Reposez la boîte par terre et laissez les rentrer dans leur nid. Leurs congénères sentiront aussitôt cette cette peur et ce sera la pagaille la plus totale. La panique, contagieuse, s'étendra en un clin d’œil à toute la termitière et finalement, ils s'en iront tous."
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Les termites ont mauvaises réputation. Dans les films d'animations anthropomorphes, de FOURMIZ à MINUSCULE, les termites ont toujours des sales tronches, une idéologie douteuse d'espace vital et un goût certain pour les guerres de conquête.
Pourquoi ce délit de sale mandibule ? Peut-être parce que les termites peuvent transformer une saine et solide charpente en sciure moisie, un peu comme Maître Gims démembrerait un morceau de Bowie au synthé. En tout cas, c'est ainsi : les termites c'est caca, alors que la mécanique interne d'une termitière est franchement fascinante.
Bon...
Là, vous m'direz...
On s'en bat un peu les coudes des termites, non ?
A cela, je répondrai que cela n'a pas toujours été le cas. Fin XIXème, début XXème l'entomologie a la flan en poulpe. Il est tendance de sortir un opus sur la vie des premiers habitants de la Terre et surement des derniers.
C'est ainsi qu'un écrivain Sud-Africain, opiomane et éclectique, va écrire un livre sur les termites. Près d'un siècle plus tard, un jeune thésard belge va le découvrir et cela va marquer le début d'un étonnant périple littéraire.
David Van Reybrouck, auteur et narrateur de ce livre, découvre par hasard, dans le cadre de ses recherches universitaires l’étonnant destin d’un écrivain sud-africain, spécialiste des grands singes et des termites.
Dans un ouvrage emprunté à la bibliothèque de primatologie d’Utrecht, il apprend que les écrits de cet homme – un dénommé Eugène Marais – auraient fait l’objet d’un plagiat et que l’auteur de cet “emprunt littéraire” ne serait autre que le grand Maeterlinck.
David Van Reybrouck est un scientifique. Il n’est donc pas étonnant que, deux ans plus tard, la lecture de tout Maeterlinck achevée, le jeune Van Reybrouck, intéressé par les travaux de Marais, intrigué cette accusation de plagiat à l’encontre d’un lauréat du prix Nobel, veuille éclaircir les choses.
C’est ainsi qu’il s’embarque pour un long voyage sur les traces d’Eugène Marais, cet inconnu né en 1871 tout près de Pretoria…
J'avais déjà pas mal kiffé le travail de David Van Reybrouck et sa phénoménale histoire du Congo. David, tel Tintin sans le paternalisme colonialiste, retourne en Afrique, sur les traces d'Eugène Marais.
David ne fait pas mystère que sa sympathie va à cet aventurier exubérant et drogué plutôt qu'au génie littéraire, installé et semblant passablement chiant. C'est là la force (et peut-être la limite) de ce livre : la vision de David Van Reybrouck nous accompagne et scande les belles pages de cet intriguant ouvrage qui esquive soigneusement les clichés.
Bon allez, je vous rassure, vous avez bien quelques pages sur les termites (captivantes et oui !) mais LE FLÉAU est avant tout un portrait saisissant de la nouvelle Afrique du Sud dont l'Arc en Ciel a bien pâli.
Entre un Sida endémique, une violence invraisemblable, un racisme culturel, quasiment inscrit dans les pores de la peau et une méfiance généralisée, Van Reybrouck louvoie et nous épargne les sentences définitives. Il est, en effet, facile de juger et trancher dans notre confort européen, nous qui, pour la plupart, n’avons pas été biberonnés depuis l'enfance à une mythologie raciste, une classification eugéniste de tous les instants.
Quand Van Reybrouck sympathise avec des ados rigolards et serviables, il est douché par des propos racistes, presque bon enfant, aussi banals qu'un commentaire sur le temps qu'il fait.
Cependant, tout n'est pas d'un seul bloc. Il salue ainsi, à juste titre, le travail de la Commission de la vérité et de la réconciliation, oeuvre courageuse de la libération de la parole contre des remises de peines voire des amnisties. Équilibre précaire entre soif de justice et pragmatisme pacificateur, cette commission (et Mandela !) a surement épargné à l'Afrique du Sud un bain de sang.
Sans perdre le fil de son enquête (plagiat ou non ?), on suit les routes empruntées par David Van Reybrouck. On apprend beaucoup, sur les termites, la guerre des Boers, le symbolisme chenu de ce vieux barbon de Maeterlinck ; un mix élégant, passionnant, terrifiant aussi et foutrement charpenté (sans termites!).
Dans un style fluide et sans auto-complaisance, Van Reybrouck illustre parfaitement l'adage selon lequel, ce qui compte dans un voyage, ce n'est pas tant le but mais le chemin parcouru.
Savez vous comment on fait pour détruire sans difficulté la société des hommes ? Il faut juste une boîte un peu plus grande...
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