mardi 29 mars 2016

Philip K Dick 1928 - 1982 
"Aussi loin qu'il remontât, il avait toujours, de tout son être, repoussé l'idée que ce qui lui arrivait pouvait être le fruit du hasard, d'une danse d'électrons privée de chorégraphe, de combinaisons aléatoires. Pour lui, tout devait avoir un sens et il avait vécu, scruté sa propre vie en fonction de ce postulat. Or de l'idée d'une signification cachée derrière tout ce qui advient on glisse fatalement à celle d'une intention. Lorsqu'on cherche à voir sa vie comme un dessin, on ne tarde pas à y voir aussi l'exécution d'un dessein et à se demander qui l'a ourdi. Cette intuition que nous éprouvons tous, plus ou moins honteusement, donne sa pleine mesure dans les deux systèmes de pensée : le premier est la foi religieuse, le second la paranoïa, et, pour les avoir expérimentés, il doutait de plus en plus qu'il y ait une différence entre les deux."

***

Bien le bonjour les aminches. 
Voyons voir...

2016 - 1928 cela donne 88 ans.
2016 - 1982 cela donne 34 ans.

Non décidément, rien ne justifie, cette soudaine et déjà retombée, frénésie éditoriale autour de Philip K Dick. Notre appétence pour les chiffres ronds finissant par ce zéro rassurant au lignes élégantes n'est pas ici satisfaite. A la rigueur, on peut se contenter du 5 terminal (75th qui fleurissent ci et là), piqûre de rappel avant le 0 ou mieux encore les 00... terminaux.

Mais là. Le 34ème anniversaire de la mort de Dick, la 88ème commémoration du premier braillement du Philou ? 

Mais je ne vais pas m'en plaindre, les filles, fervent Dickien, je savoure ces unes, et surtout la programmation de ce très bon docu sur Philip K Dick sur Arte qui n'ouvre pas son canal hertzien qu'à des spectacles abscons de danse contemporaine.


Execellente mise en bouche de l'oeuvre de Dick que certains crétins élèvent au rang de gourou. On se calme, on prend une douche, j'sais pas... Dick est un écrivain de SF. Et un bon, un foutrement bon. 

Le hasard faisant parfois bien les roses les filles, je venais juste de claquer (pour la seconde fois) la superbe biographie romancée de Dick par Emmanuel Carrere et je ne me trouvais donc point trop démuni face à ce tsumaninou bref et savoureux revival Dickien.

Tout commence avec le souvenir d’un cordon de lampe qui n’existe pas. La plupart des gens se disent « c’est bizarre » et passent outre. 

Pas Philip K. Dick. 

Pour lui, c’est le début d’un doute incessant : sommes-nous vraiment réels ? 

Vivants ou bien morts ? 

L’existence de l’écrivain sera guidée par ces retournements, tour à tour époux modèle, grand psychotique, fervent catholique, junkie…

Je suis venu à Dick par sa face la plus pentue, LE MAÎTRE DU HAUT CHÂTEAU, son livre le plus connu, au pitch ravageur. 


Les puissances de l'Axe ont gagné la guerre mais un écrivain de SF imagine un univers où l'Allemagne et le Japon ont été défaits. Son livre se propage et d'aucun(e)s se demandent, et si ce n'était pas de la SF, et si c'était la réalité, la vraie pas celle que l'on nous montre...

Le livre le plus fameux de Dick, pas l'un de mes préférés, un dénouement incompréhensible, je défie quiconque de le comprendre car il n'y a strictement rien à comprendre. Mais ce bouquin est symptomatique du doute qui consuma Dick toute sa vie et dans lequel il finira par se perdre : et s'il n'était pas juste un écrivain de SF à l'imagination foisonnante (plus de 45 romans, 200 nouvelles) mais un prophète incompris, et s'il ce qu'il écrivait n'était pas de la SF mais la vérité vraie. Et si c'était la vie telle qu'on la mène nous autres qui serait de la SF ?

Ouch...

Tout commence avec la mort de la jumelle de Dick. Sa mère (bien bien barrée) emmenait son fils sur sa tombe et lui montrait sa pierre tombale à lui, déjà prête à coté de celle de sa sœur, la date de naissance gravée, un blanc pour celle à venir... 

Des fois... On se dit... Qu'il y en a quelques un(e)s qui partent avec un handicap dans l'existence.

Philou se demandera (trop) souvent, si ce n'est pas lui qui est dans la tombe, s'il n'est pas le rêve de sa sœur, imaginant la vie de son frère jumeau décédé. Délire qu'il nous arrive parfois de conceptualiser (ah non ? Ahem...) et puis on zappe. 

Pas Dick, Phil ne zappe pas. Jamais. Il n'a pas la télécommande. Chez Dick le hasard n'existe pas. 

Carrère par son écriture toujours précise et inimitable dessine avec empathie une vie tordue, laborieuse et intense. Pour une fois (la dernière), Carrère s'efface vraiment derrière son sujet. Attention tout de même les filles, Manu, pour illustrer son propos, déflore nombre d'intrigues des livres Dickien. Ce qui est dommageable car Dick c'est avant tout une inventivité furieuse en action, on ne lit pas Dick pour son style plat de comptable dépressif.

Carrère nous donne à lire une quête, une traque ininterrompue d'un réel se dérobant, avançant masqué. Cette recherche éperdue de sens fera que Dick, après une consommation intensive de divers psychotropes (mais un seul one shot de LSD), tombera en religion. Il deviendra un catholique fervent. Puis un chrétien, un Chrétien de l'empire romain, un persécuté, en lutte contre un nouvel Empire mal défini. 

Les pages où il a sa révélation, en apercevant la collier d'une livreuse de médicaments, sont saisissantes. Dick sombre-t-il dans la folie ? 

On en saura davantage lors du festival de Metz en 1977, dont Philip K. Dick est l’invité. Devant un auditoire embarrassé, il explique, dans un long monologue, qu’en mars 1974 il a été contacté par une intelligence extra-terrestre divine et que depuis il reçoit régulièrement des messages... On imagine l’inquiétude de admirateurs de Dick qui l’entendirent développer très sérieusement sa thèse...

Dick était un homme compliqué, pas facile à vivre, psychotique, dépressif. généreux aussi. il distribuera la plus grande partie des dividendes reçus pour la vente des droits de BLADE RUNNER là où d'autres les planquent dans le sable chaud d'un paradis fiscal inaccessible.

Tout au long de son oeuvre, Dick alternera entre son versant Bigot mystique un peu chiant (surtout à la fin et son diptyque fumeux SIVA et L'INVASION DIVINE) et la pirouette sardonique du rat noir. 

Par exemple dans UBIK

Très grand livre. Dérangeant et blindé d'un humour absurde délicieux. 

"La porte refusa de s'ouvrir et déclara:
- Cinq cents, s'il vous plaît.
A nouveau, il chercha dans ses poches. Plus de pièces, plus rien.
- Je vous paierai demain, dit-il à la porte. (Il essaya une fois de plus d'actionner le verrou, mais celui-ci demeura fermé.). Les pièces que je vous donne constitue un pourboire, je ne suis pas obligé de vous payer.
- Je ne suis pas de cet avis, dit la porte. Regardez dans le contrat que vous avez signé en emménageant dans ce conapt.
Il trouva le contrat dans le tiroir de son bureau : depuis que le document avait été établi, il avait eu besoin maintes et maintes fois de s'y référer. La porte avait raison, le paiement pour son ouverture et sa fermeture faisait partie des charges et n'avait rien de facultatif.
- Vous avez pu voir que je ne me trompais pas, dit la porte avec une certaine suffisance.
Joe Chip sortir un couteau en acier inoxydable du tiroir à côté de l'évier, il s'en munit et entreprit systématiquement de démonter le verrou de sa porte insatiable.
- Je vous poursuivrai en justice, dit la porte tandis que tombait la première vis.
- Je n'ai jamais été poursuivi en justice par une porte. Mais je ne pense pas que j'en mourrai."

UBIK dont l'éditeur français considérait comme l'un des 5 plus grands livres jamais écrits selon son éditeur français. Attention pas l'un des 5 plus grands livres de SF jamais écrits, non l'un des 5 plus grands livres, point barre. 

Bon voir plus haut, cf la douche... 

UBIK Où Dick ne peut s’empêcher de changer d'une phrase toute la perspective du roman et d'en retourner le dénouement comme un slip dans une centrifugeuse.


Je crois que Emmanuel Carrère préfère le rat au bigot.

Moi aussi. 

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