mercredi 21 octobre 2015


Ah mais non ! je ne parle pas de ce rabbit là, tiré d'un épisode de la Quatrième Dimension qui m'a l'air bien fou furieux.

Non moi je voulais vous narrer d'un autre rabbit, plus drôle...


On se rapproche mais mon Rabbit à moi, ils sont plusieurs, ils ont un B, un T de plus et un E terminal. 

Les Rabbitte, famille prolo vivant dans le quartier de Barrytown, à coté de Dublin. 

Les Rabbite, nés de la plume d'un écrivain irlandais fameux, Roddy Doyle.


Salut Roddy. 

Ne cherchez pas Barrytown sur une carte, cette banlieue ouvrière de Dublin n'existe pas, mais elle est hautement probable, avec ses maisons de briques qui se suivent et se ressemblent furieusement. 

Ses fins de mois qui sonnent creux, ses teints terreux et la pinte du soir pour tenir le coup jusqu'à demain. Mais point de drame psychologique chez Roddy, ce n'est pas du Zola, on est dans de la tranche de vie vitaminée et juteuse. 

Vous connaissez tous un peu les Rabbitte, car les trois livres de la trilogie ont été adaptés en films à succès.

Au chômage, Jimmy Jr Rabbitte se voit propulsé du jour au lendemain manager d'un groupe de musique soul amateur. Pourquoi la soul ? Parce que la soul c'est la musique du peuple et c'est aussi le sexe, la révolution, la reconnaissance, tout ce dont ils rêvent. 

Après quelques répétitions et pas mal de virées au pub, la soul Dublinoise va voir le jour lors d'un premier concert qui aura lieu... au foyer paroissial.

Mais malgré toute la bonne volonté de Joey les Lèvres, trompettiste qui a joué aux USA avec les plus grands et leader spirituel du groupe, les dissensions ne vont pas tarder à apparaître...


Dans ce premier opus, qui deviendra l'un des (rares) bon films de Alan Parker, Roddy met en place ce qui constituera la charpente stylistique  de sa trilogie. 

Pas de descriptions, des paragraphes très courts et des dialogues percutants. Des répliques ping-pong, savoureuses et plutôt salées qui rebondissent entre les divers personnages, qui bien que peu décrits, sont étonnement incarnés.  

Un langage populaire, accessible, pas de phrases amphigouriques et ampoulées mais directes et sans fioritures. 

Roddy colle à ses héros, il les connait et il les aime. sans occulter leur failles, leur petitesse parfois mais avec tendresse toujours, chaleur et humour. A l'irlandaise en somme. 

Je ne saurai que trop vous conseiller  si vous le pouvez, de lire ces COMMITMENTS avec de la soul en fond sonore, de celle qui pulse moumoute, qui écarte les murs pour que l'on puisse se déhancher à l'aise. 


Contrairement au jazz :

" - Tu vois, expliqua Joey Les Lèvres, la soul est la musique du peuple... Des gens ordinaires qui font de la musique pour d'autres gens ordinaires... Une musique simple. N'importe quel frère est capable de la jouer. Le son de la Motown, c'est simple. Boum boum boum boum.... Le tempo est carré. Boum boum boum boum... Tu vois ? La soul est démocratique Jimmy. On peut en jouer avec un couvercle de poubelle... C'est une musique populaire.
- T'as pas besoin d'avoir mention TB pour jouer de la soul, c'est ce que tu veux dire, Joey ?
- C'est exact Frère Michael.
- Mickah.
- Frère Mickah. C'est exact. on n'a pas besoin d'un doctorat pour être docteur es soul.
- Elle est bonne !
- Et qu'est ce qui te gêne dans le jazz ? s'informa Jimmy.
- C'est une musique intellectuelle, répliqua Joey Les Lèvres.... une musique antipeuple. C'est abstrait. [...] La soul lui est étrangère. C'est du son pour le son. Le jazz n'a pas de sens... C'est de la branlette musicale, Jimmy !"

Savoureux, c'est toujours un chouette moment quand vous avez la sensation que certaines pages sont écrites pour vous, quand vous entrez en communion avec des héros de papier qui prennent chair grâce à cette communion de vue...

Très chouette bouquin que ces COMMITMENTS. Entre les envolées philosophico-politico-définitives de Jimmy Jr...

" Vous ne comprenez pas les gars ! Les Irlandais sont les Noirs de l'Europe ! À Dublin on est les Noirs de l'Irlande et ceux des quartiers nord sont les Noirs de Dublin !"

... Les histoires de cul (Roddy n'est pas un prude) et les mesquineries inévitables, THE COMMITMENTS est un formidable feel good book qui donne une pêche d'enfer se terminant sur une note douce amère, comme souvent chez Roddy. 

Excellente entrée en matière dans la famille Rabbitte. Avec un style percutant, musical, de la soul mis en lettres !

Après le fils, intéressons nous un peu à la fille. 


Sharon Rabitte, la fille aînée de Jimmy Sr., annonce à ses parents qu'elle est enceinte, qu'elle veut garder l'enfant, l'élever seule et refuse obstinément de révéler l'identité du père. 

À la fin des années 1980 dans une Irlande encore très conservatrice, un enfant né hors mariage est un sujet aussi tabou que la contraception et le divorce. 

La famille Rabitte devient alors vite la risée de tout Barrytown, mais Sharon est heureuse. Elle ne se soucie guère ni du qu'en-dira-t-on ni du géniteur. 

Le meilleur de la trilogie. Ce second tome est une pépite d'humour, d'émotions et une observation fine des rapports humains et familiaux. 

Sharon décide de garder l'enfant. A vrai dire ne pas le garder serait proprement inconcevable. On est en Irlande, l'avortement est une abomination. Comme le réplique Sharon à son père qui évoque à demi mots cette alternative : l'avortement est un meurtre.

Bon.

Quelle contradiction que ce conservatisme bien pensant avec la liberté de ton et de parole. C'est bruyant chez les Rabbitte et particulièrement salée. Véronica cherche bien à canaliser son mari Jimmy Sr mais le langage est raide. Beaucoup de bruit, de jurons et infiniment de tendresse surtout. 

THE SNAPPER est un roman tendre. Quand l'identité du géniteur du Snapper (que l'on pourrait traduire par moutard), vrai faux suspenses du livre, est dévoilé, géniteur dont le charme n'est pas la qualité première, Sharon va déployer toute une palette de stratégies d'évitement et de contre feux. 

Le chef de famille, rustre au grand palpitant, maladroit et touchant, va prendre les choses en main. La relation père fille est au cœur de ce roman. Les efforts patauds de Jimmy Sr pour se montrer à la hauteur, sa mesquinerie si humaine après tout... tous  ces petits moments que l'on a tous plus ou moins connus sont rendus avec une empathie et un humour profonds. 

Voir ce père un peu vieux jeu se dépatouiller avec ses contradictions sans même s'apercevoir qu'il est finement manipulé par sa fille est un vrai bonheur. L'échange entre ces deux là dans la chambre de Sharon où le vieux père vient s'excuser est même l'une des scènes les plus touchantes que j'ai lu depuis longtemps.

Très beau roman qui donna l'un des (nombreux) bons films de Stephen Frears.

Sacré personnage que ce Jimmy Sr Rabbitte que l'on retrouve dans le dernier tome de la trilogie.

Jimmy Sr. Rabbite, sans travail et fauché,  s'ennuie ferme jusqu'au jour ou son vieil ami Bimbo, boulanger, est licencié. Il a enfin un compagnon pour jouer au minigolf, aller à la bibliothèque ou encore bricoler. 

Rapidement, les jours paraissent longs aux deux hommes, ils passent leur temps à passer le temps... jusqu'à ce que Bimbo décide d'agir et achète un vieux van à frites. À l'aube de la Coupe du monde 1990, un tel achat semble un projet d'avenir...

Il s'agit là du moins bon film. Mais pas forcément du moins bon livre. Le ton se fait plus amer, moins drôle et plus socialement impliqué. 

La vie n'est pas facile à Barrytown, le chômage est galopant et la misère, la vraie, jamais bien loin.

Plaie d'argent n'est point mortelle, dit celui dont le porte monnaie est ventru mais cela n'apaise pas les relations de couple. Celui de Jimmy Sr bat de l'aile, sa femme Véronica en a un peu plein de trimer du matin au soir pour nourrir sa tribu et rêve d'émancipation. Jimmy Sr tourne en rond et voir son propre fils le dépanner de quelques billet est un déchirement, cela tourne à l'obsession métaphysique. 

C'est pourquoi ce Fish & Chip's artisanal, qui va se révéler une affaire juteuse, semble, à priori, une aubaine.

"C'était le plus beau jour de la vie de Jimmy Senior. Les gens qu'il servit ce soir-là eurent beaucoup plus de frites que ce à quoi ils avaient droit. Ils firent tout de même une petite fortune et vendirent tout leur stock. Ils ne leur restaient même pas un Mars. Ils fermèrent à 10h, merveilleusement tôt, et s'envoyèrent quelques pintes tranquilles. Les chansons s'étaient tues. Après quoi Jimmy Sr rentra chez lui. Veronica était dans la cuisine, où elle lui fit à manger, et il se remit à pleurer quand il lui raconta le pub et la rencontre avec Jimmy Jr. Elle le traita de dingue. C'était le plus beau jour de sa vie."

Mais entre les tendances managériales agressives et dictatoriales du vieux pote Bambi et la conscience syndicaliste tendance rouge énervée sans compromis de Jimmy Sr, l’étincelle couve et menace de faire sauter la belle amitié qui unit ces deux gaillards. 

L'humour est toujours là dans ce dernier opus mais se teinte désormais d'une certaine mélancolie pas désagréable. Jimmy Sr voit ses enfants grandir, le fuir pour vivre leur propres expériences, sa femme l'éviter et attendre de lui une reconnaissance, un geste... Et ce grand ballot de se retrouver les bras ballants. 

Une mélancolie anticipée nous gagne aussi en sachant que nous quitterons bientôt les Rabbitte, nous les avons vu pleurer, rire, se débattre sans jamais baisser les bras et se détourner les uns des autres .

A grand renforts de phrases incisives, de répliques cinglantes, de Guinness moussues, de jurons lestes, d'éclats de rires et de quelques larmes, nous les suivions dans leur vie banale mais jamais insignifiantes. 

Ce fut un beau voyage.

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