dimanche 27 septembre 2015


Bonjour les filles. 

Parlons un peu d'espionnage, 

De littérature d'espionnage plus précisément. On a un peu l'impression que cette littérature est un brin en perte de vitesse. Ce n'est peut être qu'un faux reflet mais, hormis les pavés encombrant les têtes de gondoles, les grands romans d'espionnage ne font pas fleuristes dans les librairies.

Je crois que la Guerre froide se prêtait mieux à ses complots vicieux, ses agents doubles, ce Grand Jeu gourmet. Un ennemi clairement identifié, qu'on savait où trouver et une apparence de respectabilité de gentleman, apparence trompeuse. 

Alors oui, certes, John Le Carré (que l'on ne peut éviter de citer) a su renouveler son propos et se faire le port voix apache et alter mondialiste des réprouvés de la Terre mais je préfère ses premiers jets, le gris du tweed sur le blanc de la neige moscovite. 

Et à tout prendre, je préfère Robert Littell à John Le Carré. 


Robert (80 pâquerettes cette année) est un très grand écrivain d'espionnage et comme souvent, pour les grands écrivains, le genre adopté n'est qu'un prétexte. Iain M Banks écrit de la SF pour nous parler autre chose que de SF, Bob nous montre les affres des espions pour nous dire autre chose que les filatures et boites aux lettres mortes. 

Il a débuté par une carrière de journaliste et a écrit son premier roman en 1973 et n'a pas arrêté depuis. Il a traversé toute la guerre froide. J'ai dû lire une bonne dizaine de ses ouvrages mais je ne les chroniquerai pas tous (don't panic!).

Commençons par ma lecture la plus récente : 

Charlie heller est cryptologue à la CIA et réceptionne les messages codées les plus sensibles de l'Agence. Grand dégingandé, remontant continuellement ses lorgnons, il n' a rien de l'agent spécial tueur de sang froid. 

Quand sa fiancé meurt dans une attaque terroriste au consulat des Etats Unis de Berlin, il sombre. 

S'apercevant bien vite que la CIA ne prévoit aucune mission de vengeance, il prend les choses en main. Au prix d'un chantage incroyable, il met ses employeurs dans l'obligation de le former fissa à l'infiltration et à l'assassinat. 

Charlie est un amateur dans un monde de professionnels. Il n'a quasiment aucunes chances. Quasiment.

Robert connait tellement le monde de l'espionnage que ses livres ne semblent jamais improbables. 

L'AMATEUR n'est pas le meilleur de sa bibliographie mais il reste tout de même 100 coudées au dessus d'un Forsythe ou Ludlum moyen. 

Chez Bob, pas de combats rapprochés, Charlie n'a rien d'un guerrier , il tremble comme une feuille et encaisse mal le recul de son arme, mais il a le courage de ceux qui n'ont rien à perdre. Il pratique aussi une auto dérision et un humour acide et froid ainsi qu'une lucidité qui lui évite la complaisance. 

Il veut la vengeance. non pour l'amour qu'il a perdu. Il le fait pour lui, pour revenir dans le monde des vivants. 

Charlie Heller est un anti héros attachant qui trimbale sa silhouette incongrue dans un Prague soviétique plus vrai que nature. Robert Littell est aussi un fin connaisseur de la Russie, de son âme, de L'URSS comme de la Russie éternelle. Son oeuvre balance constamment entre ses deux pôles, l'espionnage pur et dur et l'étude caractère mais la Russie est  toujours présente.

L'AMATEUR est un bon bouquin, très bon, avec des trouvailles que seul un bon écrivain sait inventer pour rendre ses personnages crédibles :  l'héroïne tchèque qui cite toujours les clichés de travers "visible comme la bouche au milieu de la figure", Charlie qui aime tenir une cigarette, la faire rouler dans ses phalanges et la porter à ses lèvres sans l'allumer car il arrête de fumer, ou bien encore sa quête effrénée d'un code secret dans les pièces de Shakespeare.

Ses petits détails se fondent dans une intrigue solide, un poil linéaire par rapport à d'autres opus du maître, mais l'humanité, l'humour, le burlesque même et l'amertume se mêlent suffisamment pour se dire que L'AMATEUR mérite une première ligne sur les étagères de la bibliothèque. 

Cependant même si L'AMATEUR est un livre de qualité, il est très loin de la poutre maîtresse de la Maison Littell, son grand oeuvre, la matrice définitive :





Dans ce redoutable thriller politique, Robert Littell restitue un demi-siècle de notre histoire. 

Entre fiction et réalité, personnages fictifs et figures historiques (Kennedy, Eltsine, mais aussi Ben Laden), il dévoile les mécanismes et les dérapages de l'une des organisations les plus tristement célèbres au monde, la CIA.






Extraordinaire et magistral, ce livre est un chef d'oeuvre. 

Je me souviens surtout d'un plaisir de lecture que j'ai rarement éprouvé, un frémissement dans les pognes à l'idée de me replonger dans ce pavé goûteux. Un demi siècle d'histoire, de chassés croisés, d’affrontements feutrés et bien dégueulasses. 

Littell n'est pas de ces écrivains patrioticard qui clame l'amour du drapeau. S'il n'apprécie pas le système soviétique dont il devine très vite les carences et l'horreur intrinsèque, il ne goûte guère les manœuvres douteuses de l'Oncle Sam et de ses spadassins d'élites : les services secrets. 

Bon que vous dire sur LA COMPAGNIE ?

Tout d'abord un livre haletant, au suspense implacable, au style classique, sans chichis mais qui percute pas mal quand même. 

C'est aussi un sacré document sur cinq décennies, de la chute du Troisième Reich à la chute de l'empire Soviétique. Tout y passe, Philby et les cinq de Cambridge, les taupes les plus célèbres de l'espionnage d’après guerre, la baie des cochons, la crise des Missiles et toutikiki.

LA COMPAGNIE est un roman étourdissant sur deux blocs aux idéologies affirmés qui s'affrontèrent à mort, sur des vies brisées sur un simple doute, sur des convictions si profondément implantées qu'on peine à l'imaginer aujourd'hui. 

Réellement impressionnant, si vous ne devez lire qu'un roman d'espionnage, celui là sans hésiter. Si vous kiffez l'excellente série THE AMERICANS , foncez. Si vous voulez juste lire de la grande littérature, let's go didiou ! 

Bon ok? Je vois... 

L'espionnage n'est pas votre tasse de café. Je peux comprendre. J'ai moi aussi certaines préventions. C'est humain après tout. 

Éloignons de l'ombre des ruelles mal éclairées et des chapeaux mous.



Ossip Mandelstam, le grand poète, n'est pas l'artiste qu'il aurait aimé être. 

Avec sa femme Nadejda, ils vivent de sexe et de vodka, enfermés dans leur appartement moscovite, sale et glacial. 

Effrayé par les dérives du stalinisme, Mandelstam veut sauver sa belle Russie des griffes de celui qu'il nomme "le montagnard du Kremlin". 

Ses poèmes moquant le dictateur vont lui coûter très cher...




Robert Littell a mis trente ans pour accoucher de ce livre, dont il raconte l'origine dans l'épilogue. En 1979, l'ex-reporter de Newsweek, spécialiste de la Russie et du Moyen-Orient, avait eu la chance de rencontrer à Moscou la veuve du poète Ossip Mandelstam. « Ne parlez pas anglais dans le couloir », avait lâché Nadejda en le raccompagnant à sa porte. 

Cette phrase, depuis, n'a cessé de le hanter.

Il est dangereux de parler anglais à Moscou en 1979. L'HIRONDELLE AVANT L'ORAGE, d'une épure formelle impeccable, rend compte de façon déchirante ce que peut être l'arbitraire le plus absolu, un arbitraire confinant à la folie pure et simple. 

Ce livre est tout à la fois bouleversant et tragiquement drôle. On lit, écœuré et médusé, les procès de Moscou ; les détours tortueux empruntés par les procureurs zélés (futurs accusés pour la plupart) pour faire avouer des fautes inexistantes dont la plupart des victimes finiront par se croire réellement responsables. 

L'HIRONDELLE AVANT L'ORAGE est peut-être le plus beau livre de son auteur, pas de l'ampleur phénoménale de LA COMPAGNIE, mais d'une poésie et d'une humanité sans pareille. 

Grand grand livre. 

Voilou les aminches, vous l'aurez compris, je suis très fan de Robert Littell, au point que je frise la grandiloquence mais si ces grandes tirades vous amènent à tenter la lecture, je ne m'en repentirai certainement pas. 

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