lundi 13 avril 2015

... Mais il reste un peu minuscule espoir.


Dans la grande variété du polar, il y en a un que nos comparses outre atlantiques réussissent mieux. Le roman noir. Le privé dans un costume défraîchi, cerné par les factures, dans un bureau mal rangé à la climatisation poussive et une bouteille de bourbon qui traîne au fond d'un tiroir. 

C'est bon vous le tenez là...

On ne les compte plus, de Philip Marlowe à Sam Spade en passant par Mike Hammer etc... Toute une ambiance poisseuse si possible et une humeur mauvaise la plupart du temps.  

Ces antihéros fatigués, au foie rongé par l'alcool bon marché, à la moralité élastique mais toujours présente finalement, j'en ai vu défiler un bon nombre, certains jusqu'à la caricature. 

Mais il y en a un que j'ai découvert depuis peu et qui m' a accroché pour ne plus me lâcher : Lew Griffin.

A La Nouvelle-Orléans, on peut se réveiller dans un hôpital et y être comme dans une prison. 

On peut être payé par des militants pour les droits civiques pour retrouver une jeune femme jamais descendue d'un avion, enquêter sur la disparition d'une gamine parfaite puis, dans la foulée, devenir l'écrivain de sa propre vie. 

Lew Griffin, privé black, ancien soldat discrètement remercié, amant d'une prostituée de grande classe, est un solitaire épris de justice.

LE FAUCHEUX est un recueil de quatre enquêtes menées par Lew Griffin, grand costaud black, dangereux, toujours prêt à casser une côte ou retourner un pouce. Lew a une réputation, il n'a même que cela. 

Presque... 

LE FAUCHEUX est surtout un grand roman d'atmosphère où, aux côtés de Lew, l'autre grande héroïne du bouquin, se dévoile dans toute sa majestueuse beauté crasse : La Nouvelle Orléans. Le talent de James Sallis pour croquer la célèbre cité est saisissant et ne doit pas être salué par l'office de tourisme local. 

"Dans une ville déjà réputée pour sa violence, il fut un temps, qui dura certes longtemps, où la violence du Channel l’emportait sur tous les autres quartiers : les bars y avaient des noms évocateurs comme le Bain de Sang, les étrangers qui s’incrustaient malgré tout étaient accueillis à coups de briques et les flics s’y faisaient flinguer. A chaque fois qu’il pleuvait – c’est-à-dire presque tout le temps dans cette foutue ville de La Nouvelle-Orléans – la flotte en provenance du Garden District, au nord de la ville, ce qui explique sans doute le nom du quartier. Oubliez les Long et leurs magouilles politiques, oubliez la mafia, les pétroliers, l’Eglise ou la municipalité : à La Nouvelle-Orléans, les vrais patrons, c’est les cafards."

Car, comme tout grand romancier noir, James Sallis n'est pas un mec heureux, son livre fleure bon le désespoir et une légère misanthropie.

Coucou James (j'ai écrit DRIVE au fait, çui du film)
Il faut préciser que Lew Griffin, son privé est un black qui officie à La Nouvelle Orléans de 1964 à 1990, Ce qui ne contribue pas au développement d'une foi inconditionnelle en la fraternité humaine.

Ajoutez à cela une inclinaison prononcée pour les mauvais choix, l'auto destruction pathologique et une lucidité piochée au fond d'un verre, vous avez un détective usé par son métier, qui en trop vu mais ne peut se résoudre...

"Je me suis alors demandé ce qui pouvait bien pousser les gens à se détruire ? Cette longue descente aux enfers était-elle inscrite en lui (ou en elle), peut-être en chacun de nous? Ou était-ce quelque chose que l’individu avait lui-même installé, et qu’il faisait naître avec le temps, sans le savoir, tout comme il façonnait son visage, son existence, les histoires qui l’aidaient à vivre, celles qui lui permettaient de continuer à vivre. Apparemment, j’étais censé le savoir. J’avais déjà fait le voyage et il était fort probable que je recommencerais."

Et pourtant... Lew n'abandonne jamais, surtout pas ses principes. Il n'abdique pas, même s'il en prends ras la tronche. Il s'obstine à chercher le meilleur, à traquer cette fin heureuse qui se dérobe. Et parfois il la trouve.

Si vous voulez des enquêtes carrées et rebondissantes les filles, passez votre chemin. Mais si vous aimez les climats non tempérés ; les héros fatigués, peu aimables au premier abord mais si humains finalement. Si vous appréciez un style simple, direct et parfois curieusement poétiques. Si vous kiffez les vrais écrivains en somme, vous pouvez tenter une piécette sur ce FAUCHEUX. 

Un vrai bon bouquin.

Pessimiste en diable sans être (définitivement) désespéré, pas facile à tenir, la note !

"Quel putain de monde de merde ! Et le mieux qu'on puisse faire, c'est de déplacer la merde pour un petit moment."

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