mardi 27 septembre 2016


Depuis tous ces mois passés à faire l’amour ensemble, à tout partager et à vivre au même rythme biologique, ils avaient développé des liens instinctifs, non verbaux, pareils à ceux d’une horde d’animaux sauvages.

***
Peace les filles.

1969. 

L'été de l'Amooooooooour touche à sa fin. Savez... les jeunes mal fagotés (misère, on dirait qu'ils n'aiment pas le travail), cheveux (beaucoup de cheveux) au vent, une fleur dans la frange, la guitare sèche, la marijuana, un oubli systématique du shampoing, du démêlant et du dentifrice. Et de l'amour. Beaucoup d'amour. Partagé.

Enfin c'était la théorie. 

Mais comment est-on passé de : 



à :


??

Charles Manson qui à la fin des années 60 créa une communauté dans un ranch pourri. Une secte de jeune filles (principalement) paumées et totalement défoncée où lui le gourou charismatique créa une cosmologie fumeuse : réincarnation du christ, mi démon mi ange, héritier d'Adolf Hitler, hybride d'un steak au tofu et d'une mitraillette... On s'y perd. 

Ce qui est en revanche certain, c'est que Charles Manson, du haut de ses 1m54, frêle gnome maléfique, provoqua un massacre, une série de meurtres abominables, qui sifflèrent la fin de la vague hippie. 

Los Angeles, 8 août 1969 : Charles Manson, dit Charlie, fanatise une bande de hippies, improbable « famille » que soudent drogue, sexe, rock’n roll et vénération fanatique envers le gourou. 

Téléguidés par Manson, trois filles et un garçon sont chargés d’une attaque, la première du grand chambardement qui sauvera le monde. 

La nuit même, sur les hauteurs de Los Angeles, les zombies défoncés tuent cinq fois. La sublime Sharon Tate, épouse de Roman Polanski enceinte de huit mois, est laissée pour morte après seize coups de baïonnette. Une des filles, Susan, dite Sadie, inscrit avec le sang de la star le mot PIG sur le mur de la villa avant de rejoindre le ranch qui abrite la Famille.

Au petit matin, le pays pétrifié découvre la scène sanglante sur ses écrans de télévision. Associées en un flash ultra violent, l’utopie hippie et l’opulence hollywoodienne s’anéantissent en un morbide reflet de l’Amérique. Crime crapuleux, vengeance d’un rocker raté, satanisme, combinaisons politiques, Black Panthers…

La Charles Manson Family est au cœur de la rentrée littéraire. Pas moins de deux livres traitent de ce fait divers hallucinant. 

Commençons par la vision clinique, froide et dérangeante de Simon Liberati et ses CALIFORNIA GIRLS.

Point de faux fuyant chez Liberati. Il attaque fille en tête. Il nomme les antagonistes. Manson est là bien sûr, totalement azimuté, mais n'est guère qu'un bruit de fond, un personnage récurent qui n'occupe pas le devant de la scène. 

Liberati se focalise sur les filles. Celles du ranch. Celles qui voient, enfin qui croient voir, le cervelet imbibé de psychotropes, leur gourou taper la discute avec des coyotes, ressusciter des serpents à sonnettes piétinés à mort, et l'entendent parler via la braguette d'autres personnes.

CALIFORNIA GIRLS est un livre sur l'emprise, une auscultation minutieuse et entomologique de le manipulation mentale. Un romenquête sur l'Amour dévoyé.

"L'amour qu'elles avaient pour lui les fascinaient par sa force, elles l'avaient construit ensemble, le fruit magnifique et maléfique d'une jeunesse passée à rêver dans leurs chambres d'adolescentes. Elles étaient si pures... La puissance de leurs hormones, la capacité d'amour et d'abnégation des jeunes filles d'alors, élevées pour un homme unique et donc d'une ferveur à son égard supérieure à celle des filles d'aujourd'hui, confluaient autour de cet homme divin dont elles avaient fait grandir la force grâce à leur désir partagé. Aucun étranger ne pouvait comprendre ça. Aux yeux des cochons ordinaires, les flics, les cow-boys, les psychiatres, leur dévouement pour Charlie qui les poussa à commettre des crimes inutiles, à gâcher leur vie et à braver la chambre à gaz resterait un mystère. On accuserait l'hypnose ou la drogue mais il ne s'agissait que d'amour. Elles avaient trouvé en Charlie l'époux idéal, celui que cherchent les religieuses mystiques et les jeunes héros de toutes les guerres depuis l'antiquité."

Le choix d'un récit à la troisième personne accentue la distance analytique de Simon Liberati, il livre un constat glacial et percutant de ce que put être la vie de la Famille de Manson. 

Porté par une écriture précise et sèche, qui s'autorise parfois quelques envolées, CALIFORNIA GIRLS a une force de restitution rare. Les premières pages décrivant les conditions d'hygiène déplorables du ranch de Manson et ses adeptes sont saisissantes. On les lit en se grattant, on est pris de légères démangeaisons somatiques, la puissance de la plume...

Très documenté le livre de Liberati nous donne la chronologie des derniers instants de liberté de la Famille et de son gourou. Ainsi, le message subliminal que croit discerner Manson dans l’album blanc des Beatles et de leur chanson Helter Skelter 


Cette version d'Aerosmith est bien meilleure que l'originale. 

Pour une fois que les Beatles s'énervent un peu...

Qu'a cru entendre Manson dans cette chanson ? Le Helter Skelter serait, selon ses délires racistes et paranoïaques, rien de moins que l'avènement d'une guerre raciale entre les noirs et les blancs. Mais comme cela prend un peu de temps, on accélère le mouvement en commettant des meurtres horribles et en cherchant à les faire endosser par les Blacks Panthers : l’inscription "PIGS" étant un slogan des Panthers...

"Hey les filles ! Vous vous rendez compte qu'à cause de nous, une grosse diarrhée de négros va jaillir des taudis et éteindre toutes ces putains de lumières"

Charles Manson envoie donc ses adeptes vers l’irréparable, l’innommable (lui garde son cul bien au chaud, merci bien). 

Comme je l'ai dit Liberati n'esquive rien et la boucherie dans la maison du couple Polanski/Tate constitue le pivot de son livre. Sur un fil tenu, évitant soigneusement le racolage poisseux, ces pages remuent et ne sont pas d'une lecture particulièrement aisée. 

Foutue bande de malades serait-on tenté de dire et c'est peut-être là la limite du bouquin de Liberati, il peine à restituer l'imaginaire, la psyché de ses jeunes filles en fleurs qui allèrent au tribunal en chantant (!).


Il ne s'agit évidemment pas  de pardonner mais d'essayer de comprendre. 

Comprendre malgré tout.

Nord de la Californie, fin des années 1960. Evie Boyd, quatorze ans, vit seule avec sa mère. 

Fille unique et mal dans sa peau, elle n'a que Connie, son amie d'enfance. Lorsqu'une dispute les sépare au début de l'été, Evie se tourne vers un groupe de filles dont la liberté, les tenues débraillées et l'atmosphère d'abandon qui les entoure la fascinent. 

Elle tombe sous la coupe de Suzanne, l'aînée de cette bande, et se laisse entraîner dans le cercle d'une secte et de son leader charismatique, Russell. 

Caché dans les collines, leur ranch est aussi étrange que délabré, mais, aux yeux de l'adolescente, il est exotique, électrique, et elle veut à tout prix s'y faire accepter. 

Tandis qu'elle passe de moins en moins de temps chez sa mère et que son obsession pour Suzanne va grandissant, Evie ne s'aperçoit pas qu'elle s'approche inéluctablement d'une violence impensable.

Le très beau livre d'Emma Cline, sur le même sujet, propose un angle différent. Un chemin de fuite.

Certes Charles Manson devient Russel mais tout comme chez Liberati, Russel n'est pas le sujet. Ce sont les filles qui forme le noyau de l'oeuvre.

Magnifique bouquin sur l'adolescence, l'ennui et les premiers émois, les hormones crépitant dans un corps à l'orée de la féminité triomphante.

Emma Cline n'aborde pas frontalement les meurtres mais adopte un point de vue sensible et subtil sur une adolescente un peu paumée qui veut à toute force s'intégrer, pour échapper à une vie qui lui semble morne, terne et haïssable. Une existence où une fille n'a qu'à la fermer et attendre à côté, quelques miettes d'attention des garçons. 

"Tout ce temps consacré à me préparer, à lire des articles qui m'apprenaient que la vie n'était en réalité qu'une salle d'attente, jusqu'à ce que quelqu'un vous remarque, les garçons l'avaient consacré à devenir eux-mêmes."

On constate de nouveau les aminches que l'option d'une narration à la troisième personne où à la première n'est pas neutre. 

En employant le "Je", Emma nous oblige à une empathie avec son héroïne, que l'on ne peut s'empêcher d'aimer, de plaindre, d'avoir envie de prévenir que son obsession pour Suzanne est malsaine et finira mal.

"J'étais malade d'espoir insensé, convaincue que je resterais éternellement dans l'espace béni de son attention. J'essayai de prendre sa main. Une tape dans sa paume, comme si j'avais un message à transmettre. Suzanne sursauta légèrement et s'arracha à une brume que je n'avais pas remarquée avant qu'elle se déchire."

De l'amour bien sûr. Encore. Que pouvait bien faire cette jeune fille avide de quelque chose qui se passe face à ces filles semblant libres (une illusion) et affranchie de toutes conventions ? "Aussi racées et inconscientes que des requins qui fendent les flots." ?

Pas grand chose. 

Evidemment Emma constate l'adulation invraisemblable que portent les filles à Russel.

"Leur certitude était inébranlable, elles évoquaient le pouvoir et la magie de Russell comme s'ils étaient aussi largement reconnus que la force marémotrice de la lune ou l'orbite terrestre."

Evidemment Emma observe les dérèglements de cette communauté sensée n'être qu'amour et calinous : 

"Je revoyais Russel gifler Helen et cela refaisait surface comme un petit accroc à l'arrière-plan de certaines pensées, un souvenir de méfiance. Mais je trouvais toujours un moyen de donner un sens aux choses."

Emma atteint à l'universel, on s'éloigne du fait divers révélateur d'une époque pour approcher au plus près le déni sur lequel repose tout phénomène d'embrigadement.

Ces filles ont commis l'impensable mais elles furent plus fortes que Russel en quelque sorte, qui n'était qu'un médiocre folkeux de merde, petit homme fuyant et déléguant.

"Des filles qui crachaient par terre tels des chiens enragés et baissèrent les bras quand les policiers tentèrent de les menotter. Il y avait une sorte de dignité folle dans leur résistance : aucune ne s'était enfuie. Même à la fin, les filles avaient été plus fortes que Russel."

Très beau livre. Un premier roman sensible, dense et profondément humain.



Bon les filles.

Je ne pouvais pas rester là dessus.



Fortunate Son des CCR.

C'est ça aussi la fin des années 60.

Thanks gogod...

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